Fiche thématique - Le livre d'occasion

Publié le 29/12/2023 par Mélanie Cronier
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Le livre d'occasion qui traverse l'écosystème du livre et de la lecture

Qu'est ce qu'un livre d'occasion ? Selon Vincent Chabault (Le livre d'occasion, éd. PUL, 2022), il est défini comme « un rachat ou revente d’ouvrages après une première acquisition par un.e lecteur.ice ». Le livre, parmi ses nombreuses vies, aura une autre vie marchande sur le marché de l'occasion.

Le livre d'occasion est sujet à débats. Se posent de nombreuses questions d’ordre social et matériel. Dans un sens, il permet de donner une autre vie au livre, de donner accès à un autre lectorat et ainsi de diminuer sa destruction. Toutefois, les livres concernés par ce statut ne sont que les ouvrages ayant déjà été achetés par des lecteur.ice.s, il ne remet pas dans le circuit des livres retournés ou défraîchis.

Plusieurs problématiques émergent : les droits d'auteur sont versés uniquement sur la première vente du livre, l'artiste ne touchera ensuite plus rien, même si le livre est revendu plusieurs fois. Pour les éditeur.ices, le circuit de l'occasion reste une voie de commercialisation concurrente qui engendre une baisse de leurs ventes moyennes de livres neufs.

Plusieurs voix s’élèvent et de nombreuses pistes de réflexion s’ouvrent.

D’un point de vue local, le livre d’occasion est un véritable vecteur de lien social. Les points de vente du livre de la seconde vie (bouquineries, bouquinistes, ressourceries) récupèrent les livres directement auprès des particuliers.ère.s qui ramènent leurs livres.

On observe de plus en plus de ressourceries qui ensuite utilisent les plateformes de revente en ligne pour développer un canal de vente. Selon Vincent Chabault, « l’entrée de ces nouveaux acteurs de l’offre sur le marché ou leur présence nouvelle sur les plateformes ont incontestablement renforcé la concurrence à laquelle sont aujourd’hui confrontés les libraires traditionnels. »

Selon une étude Sofia/Ministère de la Culture en 2022, le nombre de livres d’occasion achetés était de 80 millions par an, soit une augmentation de 38 % en 5 ans.

53 % des acheteur.euse.s de livres papier achètent de l’occasion.
Ce marché représente 9 % du marché générale de l’édition et 1 livre acheté sur 5.

La principale motivation étant de faire des économies, la préoccupation environnementale est en arrière plan. Le lieu d’achat privilégié est internet pour 60 % des acheteur.euse.s d’occasion.

4 français.e.s sur 10 revendent leurs livres : on voit bien qu'il y a là un vrai marché économique qui profite pour le moment seulement aux acteur.ices de l'occasion.

La perception et le lien avec le livre d’occasion sera différente d’un métier à l’autre.

 

En librairie

Toujours selon la même étude, 20 % des libraires interrogé.e.s proposent à la vente des livres d’occasion (et seulement la moitié d’entre elles.eux le font de manière régulière sur l’année).

Actuellement, le marché de l’occasion semble se structurer au profit des plateformes de revente entre particulier.ère.s et des places de marché (Vinted ou Leboncoin).

« L’usage des algorithmes de formation des prix et la revente de dons mettent en place un nouvel espace marchand pour le livre d’occasion vis-à-vis duquel les librairies traditionnelles ne peuvent se montrer compétitifs » explique Vincent Chabault.

De manière générale, le marché d’occasion ne semble pas être un réel sujet dans les librairies. Pour la majorité de celles qui ne sont pas partantes, la principale raison donnée est celle de la différenciation de métiers avec les bouquinistes/eries.

Néanmoins, certaines réinventent leur espace en intégrant l’occasion dans leur démarche commerciale.

C’est le cas de Maison Marguerite à Nantes qui a directement ouvert sa librairie dans un joli mélange où cohabitent neuf et occasion. Le rangement des livres dans des bibliothèques dénichées dans des vide-greniers est déjà révélateur de l'usage du réemploi dans l'espace, les catégories sont imaginées en fonction du titre du livre, de l’auteur-ice, de l’incipit, de la quatrième de couverture… Parmi les livres neufs se cachent des livres d’occasion qui sont rapportés par des particulier.re.s. Le.la lecteur.ice du quartier trouve ainsi sa place dans les rayonnages...

Les Instants libres et 85000, en Vendée ont aussi créé un petit espace dédié aux livres d’occasion dans lequel les client.e.s peuvent ramener leurs livres. Pour 85000, certains de ces livres rejoindront le circuit d’une plateforme de revente en ligne et en échange, les personnes recevront un bon d’achat à dépenser directement dans la librairie.

La librairie de l’Embarcadère à Saint-Nazaire a entrepris une réflexion autour du livre d’occasion et notamment en imaginant un système de redistribution de droits d’auteur.ice.s. Une charte a alors été créée afin de poser toutes les conditions de reprise des livres, un modèle qui sera diffusé lors de son lancement. Un chantier qui pourrait être intéressant de mener en coopération avec plusieurs librairies animées par le sujet. Aujourd'hui, elle a mis en place sa boîte de livres d'occasion - des livres directement récupérées auprès des lecteur.ices et qui on été des coups de coeur de la librairie.

Ratatosk, après avoir mis en place une même activité de revente de livres d’occasion a préféré transposer ses efforts sur l’animation d’une boîte à livres, située à proximité de la librairie. Une boîte à livres sur laquelle il veille et qu’il alimente avec les arrêts de commercialisation des livres qu’il vend dans sa boutique.

Ailleurs, d’autres initiatives fleurissent, en Bretagne, la Grange aux livres et l’Etabli des mots proposent une offre d’occasion. Une autre librairie dans le nord de la France a également expérimenté la vente de ces livres au kilo, comme dans certaines friperies.

Plusieurs endroits réinventent, en s’inspirant de l’existant, un modèle où se côtoient livres neufs et d’occasion.

 

Dans les maisons d’édition

La grande majorité des maisons d’édition rencontrées voit le livre d’occasion comme un prolongement de la vie des livres qu’ils et elles publient. Si elles les donnent à des associations ou autres structures, ces dernières les revendront en tant que livre d’occasion. Leur lien matériel avec les livre d’occasion semble s’arrêter ici. Certaines maisons d’édition militent sur le sujet du droit d’auteur.ice en imaginant un pourcentage prélevé via la Sofia, sur chaque livre acheté d’occasion. D’autres ont pu évoquer la transposition du droit de suite, existant dans le domaine de l’art.

En région, les éditions Rouquemoute ont axé tout une partie de leur vente sur des livres d’occasion revendus en les soldant lors d’évènements en lien.

Plus globalement, selon le groupe de travail « fabrication » de l’Association pour l’écologie du livre; « la loi AGEC (Anti-gaspillage Economie Circulaire) stipule qu’à compter du 31 décembre 2023, l’ensemble des produits non-alimentaires y compris les livres devront être pris en charge à leur fin de vie, dans l’ordre de priorité suivant : réutilisation, réemploi, valorisation énergétique ».

Une loi qui va pousser la filière à réfléchir à la gestion des déchets-livres afin de leur permettre d’être réutilisés plutôt que recyclés et, en se demandant à qui reviendra cette responsabilité.

 

Dans les bibliothèques

Le livre d’occasion n’est pas une réelle source de questionnement dans les bibliothèques. Certains établissements commencent à englober ce critère dans le choix du marché public.

Leurs livres désherbés deviendront peut-être des livres d’occasion si le don se fait à la faveur de revendeur.euse.s solidaires ou autre.

 

Quelques exemples spécifiques du marché de l’occasion

Pour partir à la rencontre d’acteur.ice.s dont le coeur de métier est le livre d’occasion, il faut sortir de la chaîne du livre. C’est ici et à partir de cette autre vie, qu’un véritable maillage social et associatif se créé sans oublier que ces ouvrages ne sont plus soumis à la loi du PUL. Ils peuvent ainsi être bradés et soldés sans limites de remise.

La Bouquinerie Nantaise est un modèle comme il en existe plusieurs dans les villes, elle revend des livres d’occasion, contrairement aux bouquinistes qui sont spécialisés dans les livres anciens. Le circuit est vertueux et fonctionne dans un ancrage local très fort, les particulier.ère.s rapportent les livres dont ils.elles souhaitent se débarrasser, la bouquinerie les rachètent à petit prix pour les ranger par genre, comme dans les librairies.

Ce lieu est vecteur de lien avec les personnes qui habitent à proximité. D’autres canaux d’achats sont également utilisés comme les soldeurs ou les services de presse. Au sein du tissu associatif, un lien s’est aussi formé, la bouquinerie donne une autre vie aux livres qui ne sont pas vendus via des associations sociales nantaises ; la p’tite goutte ou Nantes écologie l’air livre.

Dans la même veine, Aux bouquins frappés est une librairie solidaire située à la Roche-sur-Yon. Les particulier-ères ou des structures ramènent leurs livres, ces derniers sont ajoutés au panel existant en étant mis en valeur dans un bel espace. Ensuite, ils sont vendus à prix réduits au profit d’une même association et lorsqu’ils existent en plusieurs exemplaires, ils sont donnés à la ressourcerie la plus proche. Pour les livres trop abîmés, ils sont envoyés vers une association de recyclage qui revendra le papier. Un véritable fourmillement local.

Le fonctionnement d’une librairie solidaire est similaire aux ressourceries ou autres magasins solidaires.

Les ressourceries sont des lieux qui collectent les déchets, les valorisent, redistribuent les produits du réemploi et sensibilisent les publics. Le TransiStore, ressourcerie basée à la Chapelle-sur-Erdre récupère aussi des livres donnés. Une mécanique bien huilée. Les livres qui arrivent seront soit : intégrés à l’espace de vente sur place ou bien revendus sur des plateformes de ventes en ligne Recyclivre, Ammareal) qui les revendront ou les enverront dans une entreprise de recyclage pour en faire de la pâte à papier. Parallèlement, la structure gère une boîte à livres qu’elle réalimente. Numériquement, le livre ne constitue pas la majorité des objets réintégrés dans la ressourcerie mais il constitue un poids non négligeable : 60 kg de livres/jour soit 11 tonnes en un an d’ouverture.

Parfois, les ressourceries fonctionnent avec un outil d’aide à la décision, mis au point par des places de marché comme Ammareal et Recyclivre. Recyclivre fonctionne grâce aux dons de particulier.ère.s (1/4) et de professionnel.le.s (bibliothèques). Chez Ammareal, les dons proviennent de partenariats historiques (associations), de bibliothèques ou de particulier-ères qui ramènent leurs livres en librairie, en échange d’un bon d’achat.

Pour les deux cas, les livres sont revendus d’occasion sur leurs sites et une partie du chiffre d’affaires de chaque vente (10%) est reversée à une association, les livres trop abîmés seront revendus à des entreprises, associations de recyclage (parfois envoyés ailleurs). Ces deux plateformes revendent les livres donnés sur des sites de reventes plus importantes telles que Amazon.

Nantes Ecologie l'Air Livre qui récupère des livres de la part de particulier.ères ou d'autres structures et le revend à petit prix afin de permettre une accessibilité tarifaire à toustes. De plus, cette association travaille de concert avec les bouquineries de Nantes. 

 

Pour tout partage d'expérience en lien avec le livre d’occasion, n'hésitez pas à contacter Mélanie Cronier : melanie.cronier@mobilis-paysdelaloire.fr

 

Pour aller plus loin :

- Vincent Chabault : « Le livre d’occasion », ed. PUL

- Sofia : Etude sur le livre d’occasion : les résultats

- Vincent Chabault : « Le livre d’occasion », ed. PUL

- Le Monde : « Le livre d’occasion, en très bon état »

- Le Monde : « Fnac, Momox, La Bourse aux livres… les belles affaires des ouvrages d’occasion »

- Le Monde : « Les livres d’occasion tourmentent le marché de l’édition »