Bénévoles et professionnels dans la promotion du livre et de la lecture : la relation nécessaire

Publié le 15/05/2015 par Sylvie Douet, Emmanuelle Garcia, Frédérique Manin et Jean-Charles Niclas
Catégorie

On, le sait, nul ne s’engage dans une mission de bénévole sans raisons d’agir. D’aucuns y trouvent manière d’avoir une vie sociale riche lorsque la vie professionnelle est suspendue (retraite, moments de vie...) ; pour d’autres ce peut être aussi le moyen de mettre ses compétences (communication, ressources humaines, comptabilité...) au service de nouvelles sphères ; d’autres cherchent aussi par ce biais à accomplir de grandes missions et sont à la recherche de valeurs ; d’autres enfin désirent déployer ainsi des projets non compatibles avec l’économie libérale.

Le bénéfice de l’engagement est un mode de rétribution qu’il faut prendre en compte pour comprendre le bénévole, car c’est la sensation d’accomplissement qui lui permet de faire face à des tâches variées dont certaines sont parfois peu gratifiantes.

La lecture, à ce titre, avec son important capital symbolique, exerce un pouvoir d’attraction particulièrement fort. Lutte contre l’illettrisme, lecture à haute voix pour enfants, personnes âgées ou déficients visuels, participation à la gestion d’une bibliothèque, mise en place d’un salon du livre... il faut dire que l’éventail est large. Les moyens pour atteindre le statut de bénévole de la lecture semblent en outre aisés à mettre en œuvre : en plus d’avoir du temps, il suffirait en effet d’« aimer les livres ».

Voir son action reconnue par une personne plus expérimentée, diplômée, spécialisée participe aussi de la motivation et du statut social. Les enquêtes menées auprès des bénévoles montrent qu’ils sont en attente de relations suivies avec les enseignants, les bibliothécaires, les organisateurs de manifestations littéraires, afin d’être assurés et rassurés dans l’engagement qu’ils ont pris.

Pour garantir la possibilité de dialogue et la construction d’une culture commune, la formation des bénévoles est une ressource précieuse. Elle permet aux professionnels et aux bénévoles de parler le même langage, d’user des mêmes outils, et évite à l’action bénévole d’être cantonnée dans l’amateurisme. « Être bénévole ne doit pas empêcher de se conduire de manière professionnelle, bien au contraire. Pour militer activement, il faut être rigoureux et chercher la valeur ajoutée dans le domaine qualitatif et non financier », rappelle Frédérique Manin, permanente du Sel des mots.

En Pays de la Loire comme ailleurs, l’étroite collaboration tissée au fil des années a montré tout le potentiel de ces coopérations entre bénévoles et professionnels.

Des manifestations littéraires lancées et animées par des associations dynamiques, créatives, voient souvent dans la possibilité de se doter d’un permanent un aboutissement, un relais d’action, un moyen de pérenniser leur projet. Le permanent devient alors l’homme-orchestre sans lequel les choses iraient moins vite, moins loin ; et la complexité des relations professionnels/bénévoles s’incarne à la fois dans l’intensité variable de l’engagement des bénévoles et dans l’impératif de garder le cap en respectant l’objet de l’association.

De nombreuses bibliothèques, elles, vivent dans le giron d’un réseau dont la structure principale est animée par des professionnels. C’est là, bien souvent, qu’un malentendu intense s’exprime : perçu comme un succédané de salarié, le bénévole de la lecture peut irriter le professionnel – d’autant qu’en l’absence de contrepartie financière il ne peut y avoir de place, dans l’esprit du « bibliothécaire volontaire », pour une hiérarchie trop marquée.
C’est aussi dans le domaine de la lecture publique que la formation des bénévoles, dite professionnalisante, débouche le plus facilement sur une logique de travail gratuit dont le terreau est la crise financière actuelle et les baisses importantes de dotations de l’État en direction des collectivités territoriales.

Or, aussi séduisante que soit la tentation de substituer les bénévoles aux professionnels, elle s’appuie sur une vision faussée de la vraie richesse du bénévolat : celle-ci s’exprime d’autant mieux que les orientations sont claires, que les cadres sont fixés et les moyens définis. L’enjeu de la réussite des actions menées avec les bénévoles dans la promotion du livre et de la lecture réside dans l’idée qu’ils ne fassent jamais « à la place de » mais bien « avec », pour une nourriture réciproque d’engagements et de connaissances de nature différente.

Redisons-le : les professionnels ont beaucoup à apprendre des bénévoles dans d’autres champs que la technicité. La passion de la littérature, le goût et l’accueil de l’autre dans toute sa diversité, l’engagement militant sont autant de valeurs intrinsèques du passeur de livres et de mots que les professionnels oublient parfois, emportés qu’ils sont par un quotidien qu’ils souhaitent efficace, rationnel. L'absence de lien financier avec le projet auquel contribue le bénévole déporte l’équilibre du rapport coût/bénéfice.

Pour autant, c’est bien là qu’il faut être vigilant : le livre et la lecture, champs en perpétuelle tension entre culture et économie, ne peuvent exister sans professionnels expérimentés, formés, engagés. Mais le livre et la lecture se façonnent aussi avec les bénévoles.

En écho à ce débat, les administrateurs de Mobilis ont voulu faire leur place aux bénévoles en leur réservant un collège au sein de leur conseil. Et cette reconnaissance de l’action passionnée de milliers d’acteurs bénévoles du livre et de la lecture voudrait aussi entretenir le mouvement, qui doit être permanent, entre l’univers du bénévolat et le monde professionnel du livre.