[COVID-19] - La vie littéraire au temps du corona

Publié le 29/04/2020 par Amandine Glévarec
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Les livres naissent dans le secret des alcôves mais en conquérant les rayons des librairies leur existence ne fait que commencer. Les écrivains se nourrissent de leur écriture puis mènent des activités connexes liées à celle-ci, pour gagner leur vie bien sûr, mais aussi pour partager, l’émotion, le fruit de leur travail.

Dans une situation générale où le fait même de prendre la plume n’est pas chose aisée du fait des problèmes de stress, d’argent et de concentration, où l’impossibilité d’imaginer ce que deviendra la diversité éditoriale peut paralyser, et où il faut renoncer à tous les rendez-vous qui étaient programmés, comment évolue aujourd’hui la vie littéraire ? Pour l’instant, les initiatives et perspectives sont encore timides, pourtant une chose est sûre : l’envie revient.

Questions économiques…

Depuis le début du confinement, qui n’a rien d’une résidence d’écriture contrairement à ce que sous-entendent les mauvaises langues qui l’agacent tant, Éric Pessan a délaissé son stylo au profit de ses pinceaux. Chaque jour dans un petit carnet dont il partage les dessins sur Facebook, s’ajoutent les unes aux autres les illustrations des rendez-vous et projets annulés, de ce qui aurait dû être et qui ne sera pas, étrange mise en résonnance entre cet agenda fort rempli et ce temps de latence imposé depuis le 17 mars.
Les quinze premiers jours, d’ailleurs, ont été consacrés à gérer l’emploi du temps, il a fallu contacter les mandataires, les clients, voir ce qui pouvait être déplacé et ce qui serait définitivement biffé, une grosse dépense d’énergie mâtinée de contacts chaleureux avec des interlocuteurs réactifs, mais aussi de très nettes déceptions face à de véritables incompréhensions.
À l’instar de la comptable d’un lycée ulcérée par la demande de l’écrivain qui s’enquérait de savoir si l’atelier d’écriture qu’il ne pourrait, de fait, pas animer serait rémunéré ou non. « Une violence supplémentaire » qu’Éric Pessan a eu du mal à digérer et l’incite à une réflexion plus globale sur son statut, particulier et précaire, notamment sur la question des activités connexes : « Nous travaillons la plupart du temps sans contrat, c’est souvent la facture qui valide l’accord » constate-t-il. Ce qui était, et reste, un choix de vie assumé coïncide pourtant bien mal avec les premières tentatives d’aides financières élaborées par l’État.

Un présent compliqué à supporter et un futur qui, pour l’instant, n’est en rien rassurant car personne n’imagine à quoi ressembleront la production éditoriale et la vie littéraire dans les mois, et années, à venir. « Et pourtant il faut continuer de pédaler » constate Frédéric Mars, également écrivain de profession. Les contrats sont signés, les engagements pris, et il s’oblige tout autant à essayer de conserver son rythme de travail qu’à éviter de réfléchir à l’éventualité que certaines publications soient annulées. Cette angoisse, forcément sous-jacente, augmente à la consultation de ses comptes bancaires : « Depuis le début du confinement, je n’ai pas touché un centime. Même les grosses maisons sont aux abonnés absents. Les comptables sont en télétravail, ils n’ont pas forcément accès à tous les logiciels, les droits que je devais toucher à la fin du premier trimestre ne sont pas arrivés. J’ai déposé une demande de soutien auprès de la SGDL, je n’ai reçu qu’un bref accusé de réception. À vrai dire, je ne suis pas très confiant ». L’aide a tout de même fini par tomber le 28 avril, rien qui ne compense le manque à gagner, mais une petite bouffée d’oxygène vraiment bienvenue. 

…et perte de concentration

Les soucis économiques et la difficulté à se projeter qui prennent en tenaille la concentration, Caroline de Benedetti, cofondatrice avec Émeric Cloche de l’association Fondu au noir, s’en fait également l’écho : « J’arrive à gérer les obligations de base, la comptabilité de l’association, le site internet, j’arrive aussi à lire. Par contre, j’ai du mal à écrire et à rédiger des chroniques. » Elle s’interroge par ailleurs à propos de leur magazine trimestriel, L’Indic, faut-il maintenir le numéro de juin au risque de surcharger les libraires ou imaginer un numéro double en septembre ? Une version en ligne avait été envisagée, le dernier numéro a été numérisé, mais finalement les choses en sont restées pas là, « je ne suis pas concentrée là-dessus, j’ai l’impression de marcher au ralenti, pas évident de se motiver quand on n’a pas de perspectives », la jeune femme n’a pas non plus envie de trop solliciter les contributeurs extérieurs en cette période délicate.
Les Fondu au noir étaient également partie prenante dans l’organisation du Festival Mauves en noir, rendez-vous pris de longue date qui devait se dérouler du 8 au 9 mai… mais qui a fatalement été décommandé, « nous avons évoqué l’idée de faire des vidéos en remplacement, mais nous n’avons pas creusé. Peut-être que nous ferons un petit truc à la place en septembre, en plus petit comité. » 

De l’impossibilité de se projeter…

Le constat est le même du côté de Laval, trouver une solution numérique pour compenser un événement annulé ne va pas forcément de soi, comme le confirme Céline Bénabes, directrice de l’association Lecture en tête organisatrice du Festival du Premier Roman qui devait se dérouler fin avril : « Ce n’est pas dans notre ADN, la rencontre littéraire ne peut être virtuelle » souligne-t-elle, en précisant : « La seule solution qu’on utilise depuis plusieurs années quand certains écrivains sont absents physiquement, c’est de proposer aux groupes de lecteurs des ateliers lecture ou des parrainages de rencontrer l’auteur par Skype. Cela s’est fait cette année avec Grégory Le Floch, mais nous patientons pour renouveler cette option pour d’autres groupes quand le déconfinement sera confirmé, car malheureusement certains groupes de lecteurs n’ont pas pu terminer la lecture collective d’un premier roman. » L’accent se porte ailleurs : « Nous préparons plutôt les reports d’évènements en fin d’année, et la nouvelle saison ». 

Du côté de la Maison Julien Gracq, où les employés sont en chômage soit partiel soit technique, il a aussi fallu gérer le temps court - les deux auteurs en résidence qui auraient dû partir en mars ont finalement décidé de rester durant le confinement, bien que les médiations auprès des scolaires n’aient malheureusement pas pu être dématérialisées faute de moyens techniques adéquats - tout en commençant à penser au temps long.
Après concertation, il a finalement été décidé de décaler la venue des écrivains qui devaient résider au sein de la structure en mai et juin 2020, le premier viendra en octobre et novembre de cette année, le second au printemps 2021. « Pour l’instant, nous avons annulé l’ensemble de notre programmation jusqu’à septembre » explique Emmanuel Ruben, directeur des lieux, « nous espérons juste maintenir un événement qui est prévu le 18 juin, mais c’est encore très flou ». Les directives gouvernementales concernant la réouverture des lieux publics et les jauges acceptées ne sont effectivement pas encore très précises, quand elles ne sont pas carrément contradictoires. S’il n’est pas encore aujourd’hui facile d’imaginer dans quelle mesure la programmation culturelle de l’automne sera impactée, Emmanuel Ruben a néanmoins préféré opter pour l’annulation des rencontres initialement prévues au printemps plutôt que d’envisager des reports : « C’est une machine très longue à mettre en marche, je préfère essayer de maintenir ce qui avait été décidé plutôt que d’en rajouter et de tout bouleverser. Je tente de mener ce questionnement avec prudence, et de doucement commencer à préparer la saison 2021 ». La gestion du temps l’agite aussi d’un point de vue personnel, lui qui est également écrivain. Après une année 2019 qu’il reconnaît volontiers fatigante du fait de nombreuses sollicitations, « le confinement est peut-être une occasion de ralentir », et de découvrir les joies du jardinage, à défaut de s’adonner aux longues balades à vélo qu’il aime tant. 

…à l’envie d’innover

Mais tout ne s’est pas totalement arrêté durant le confinement, le Théâtre nantais La Ruche qui avait orchestré avec la librairie Durance un concours de nouvelles dont la date limite était fixée, hasard du calendrier, au 11 mai, a décidé de le maintenir. Ils ont aussi innové en lançant, sur une idée du comédien Gérard Étienne qui s’est inspiré d’un théâtre parisien, un concept gratuit et bénévole, les Happyculteurs. Bien relayée par la presse, l’initiative a séduit, ce qui ne devait durer qu’une semaine a finalement été prolongé jusqu’au déconfinement. Le principe est simple : les personnes intéressées laissent un message sur le répondeur du théâtre, un comédien les rappelle et leur lit un poème choisi en fonction de leurs goûts littéraires. Des contacts téléphoniques d’une vingtaine de minutes qui s’étoffent d’une conversation, car l’objectif premier est bien de conserver le lien social et de lutter contre l’isolement.

Une intimité et un rapprochement plus localisé qui sont aussi bases de réflexion pour Rémi Chechetto. Quand il ne peste pas contre la DRAC qui a repoussé sans préciser de nouvelles dates les commissions d’attribution des subventions, ou quand il ne s’inquiète pas de ces six mois d’arrêt de salaire, le poète essaye d’imaginer et d’inventer de nouvelles formes de rencontres pour palier l’interdiction des rassemblements pressentie comme pouvant durer de longs mois. Des rendez-vous en plus petit comité qui pourraient s’accorder avec les rencontres scolaires, mais aussi avec les lectures concerts qu’il propose avec Titi Robin, « Il y a beaucoup de mauvaises nouvelles en ce moment, l’ambiance est pesante. Pour les auteurs, après le transfert vers l’URSSAF Limousin et la découverte des cotisations retraites non encaissées par l’AGESSA, ça commence à faire beaucoup. C’est d’autant plus le moment de jouer de la solidarité entre nous, mais aussi que les grosses structures qui continuent à être financées nous proposent du travail. »
Quelques nouveaux projets commencent à se monter, encore timides, mais bien qu’il ne soit pas particulièrement optimiste, Rémi Chechetto garde l’envie, si fondamentale : « Je fais ce que j’ai toujours fait en vingt ans, je lance des idées ».

Envie aussi chez Joël Kérouanton, celle d’écrire. Les évènements lui ont inspiré non pas un journal de confinement autocentré mais au contraire un texte qui se fasse l’écho des deux cent pays, et autant de situations particulières, qui vivent le confinement. Une volonté de « ressentir cette communauté de destins au bord du gouffre » intitulée « Je me souviens et le reste, je l’ai oublié », qui prend naissance sur internet et qui devrait se poursuivre jusqu’à l’été 2021, « je tente de me ménager un espace de liberté dans cette ambiance anxiogène et sécuritaire » confie l’écrivain.

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