Comment les professionnels des bibliothèques traversent la crise du coronavirus ? Entre confinement et préparation de la réouverture, 4 professionnels partagent leur expérience pour tenter de dresser le paysage de la terrifiante et stimulante période qu'ils vivent.
Depuis le début du mois de mars 2020, les mesures du gouvernement vont crescendo pour lutter contre la pandémie du Coronavirus. Le 9 mars, premier coup de massue pour la culture, les rassemblements de plus de 1 000 personnes sont interdits conduisant à l’annulation d’un grand nombre d’événements (salons du livre, concerts).
Le jeudi 12 mars, le Président de la République annonce la fermeture des écoles puis le lendemain, les rassemblements de plus 100 personnes sont à leur tour prohibés. Là, ça devient également compliqué pour les bibliothèques, dont la jauge d’accueil est souvent bien supérieure.
Un vent de panique souffle sur les bibliothèques
Le samedi suivant, les bibliothèques qui demeurent ouvertes voient affluer un grand nombre d’usagers venus là pour faire des provisions de livres avant le confinement inévitable.
De l’aveu de Sophie Rouyer, directrice des bibliothèques du Mans, « c’est la panique ». Les usagers se massent aux portes des bibliothèques sans bien saisir les mesures de régulation du public mises en place à la hâte par les professionnels.
L’annonce du confinement est faite le 16 mars à 20h avec mise en place le lendemain midi. Les professionnels des bibliothèques sont alors encouragés à poursuivre leurs missions en télétravail. Et les usagers trouvent désormais portes des bibliothèques closes « jusqu’à nouvel ordre ».
Si certaines collectivités étaient habituées à proposer à leurs agents un matériel / accès adéquat pour le télétravail, d’autres n’étaient pas prêtes et mal équipées. Au Mans, les agents de la bibliothèque municipale ont pu compter sur la direction des services informatiques pour mettre en place l’accès à distance aux postes de travail professionnels et pour les agents de la bibliothèque municipale d'Angers… c’est plutôt le système-D qui a permis aux équipes d’assurer la continuité des missions de service public !
De la sidération à la peine
Les ajustements méthodologiques et la sidération laissent ensuite place à la peine de devoir déprogrammer toutes les actions culturelles a minima jusqu’à la fin de l’été. C’est un déchirement pour Sophie Rouyer, soulagée malgré tout de savoir que les compagnies, artistes et intervenants ont pu être payés pour les services faits avant le confinement. Quant aux prestations prévues, elle espère pouvoir reprogrammer les rendez-vous réguliers pour assurer un salaire aux intermittents avec lesquels la bibliothèque a l’habitude de travailler tout en ayant conscience que la bibliothèque devra être en capacité de se réinventer après cette crise notamment parce que l’avenir risque d’être financièrement compliqué.
À la bibliothèque départementale de Loire-Atlantique, Marion Druart souligne que le département s’est donné comme ligne de conduite de payer artistes et formateurs contraints par la fermeture des bibliothèques de renoncer à leurs interventions. Saluons la posture !
Faire exister la bibliothèque sans lieu
Les professionnels investissent très vite les réseaux sociaux pour proposer une alternative à ce qu’ils savent faire de mieux : le conseil, la prescription, la veille documentaire, la médiation. Parallèlement, l’offre numérique des bibliothèques a été enrichie, proposant des titres de presse en ligne supplémentaires et rendant ces ressources accessibles à une population parfois non inscrite. A Cholet, la médiathèque proposait déjà une bibliothèque numérique fournie mais peu utilisée par les lecteurs. Béatrice Fougère a été chargée de la « hotline » de la bibliothèque numérique. Cette nouvelle offre a nécessité beaucoup de pédagogie et de médiation.
De très belles initiatives ont germé pendant ces longues semaines de confinement : lecture de contes sur Facebook, jeux divers sur Twitter. A noter la création d’un livre numérique par les équipes de la bibliothèque de La Chevrolière, sorte de compilation du vécu des usagers.
Le plus important : garder le lien avec le public ! Un lien qui tend à devenir plus personnel que professionnel : dans leur environnement de travail, les bibliothécaires sont anonymes, simplement identifiés par des badges, mais dans le contexte des réseaux sociaux on fait connaissance avec Olivier, Chloé, Laetitia, David, Line, Emmanuelle et bien d’autres !
Tous au front !
À Angers, les premiers temps du confinement ont été mis à profit pour mener à bien une tâche de fond de longue haleine : le contrôle croisé des notices du dépôt légal de la bibliothèque d’Angers avec celles de la BnF. Sans rentrer dans les détails de l’opération, il s’agit d’un travail réellement titanesque qui aurait pris des années sans cette période de confinement.
Des tutos home made réalisés par Jean-Charles Niclas, le directeur des bibliothèque d'Angers, et diffusés à un très grand nombre de collaborateurs ont permis de garder un dynamisme d’équipe, un lien entre des professionnels qui avaient l’habitude de travailler ensemble. Car outre l’importance de garder le lien avec les usagers, il était essentiel d’œuvrer pour maintenir une cohésion des équipes.
Sophie Rouyer, directrice des bibliothèques du Mans, maintenait le lien par le biais d’une newsletter envoyée chaque fin de journée à l’ensemble de ses collaborateurs pour faire savoir les initiatives de chacun et informer sur les grandes orientations de la direction et des élus.
Les professionnels des bibliothèques ont une nouvelle fois, pendant cette étrange période, démontré leur besoin d’échanges entre pairs comme en témoignent la multiplication des webinaires qui s’interrogent sur l’évolution des métiers, la création de sites de mise en commun d’initiatives, l’alimentation des réseaux sociaux professionnels etc…
Certaines de ces propositions étaient encadrées par l’Association des Bibliothécaires de France (cf le Padlet La bibliothèque fermée mais présente quand même), l’Association des Bibliothécaires départementaux, ou encore l’Association Bibliopat qui quant à elle fédère les acteurs du patrimoine écrit. Les associations professionnelles ont démontré, s’il fallait encore en convaincre quelques uns, tout leur intérêt pour valoriser les expériences de chacun au profit de la profession.
Violaine Godin, présidente du groupe régional des Pays de la Loire de l’ABF, espère que cette situation exceptionnelle permettra d’accueillir au sein de l’association un nombre accru d’adhérents !
Et puis « Badaboom »
Alors qu’un certain rythme de croisière était pris par les équipes et supposons-le, par le public qui pouvait trouver des idées de divertissement culturel grâce aux propositions de leurs bibliothécaires préférés, le Premier ministre annonce le 28 avril dans son plan de déconfinement que les « bibliothèques et médiathèques » rouvriraient dès le 11 mai, à l’instar des librairies et des « petits musées ». L’annonce est surprenante, brutale mais on peut également y voir un signal très positif de l’évolution du regard des politiques sur le premier réseau culturel de France : grandes oubliées des discours nombreux du gouvernement dans le cadre de la crise du Coronavirus, elles sont les premières évoquées lorsque le déconfinement du 11 mai est envisagé.
Ce que le grand public a entendu, c’est que les bibliothèques allaient rouvrir dès le 11 mai (peut-être les élus ont-ils également compris cela)… mais pour assurer la sécurité à la fois des professionnels et des usagers, il fallait, comme dans le reste des activités de la société, réfléchir à un déconfinement progressif.
Les associations professionnelles sont les premières à réagir, le soir même du discours du Premier Ministre, par le biais d’un communiqué interassociatif qui annonce la publication prochaine de recommandations « afin d’accompagner les élu·e·s et les bibliothécaires dans une réouverture progressive de leurs bibliothèques de la manière la plus sécurisée possible ».
Depuis l’annonce du 28 avril, les professionnels sont à pied d’œuvre pour réinventer la bibliothèque. C’est un vrai challenge qui peut, malgré le contexte sanitaire certes préoccupant, se révéler particulièrement stimulante, comme le confesse Sophie Rouyer. Concevoir des protocoles, manager des équipes soudées sans distinction des catégories d’emploi, assurer leur sécurité sanitaire, imaginer les différentes possibilités d’action pour répondre au mieux au Service Public… tout cela transcende l’angoisse latente du virus.
Et les directeurs d’établissements ne sont pas seuls face à l’immensité de la tâche à accomplir, ils peuvent s’appuyer sur les préconisations édictées par les associations professionnelles. Ce document est tout à la fois un guide à l’usage des professionnels et un document d’appui à faire découvrir, si besoin, à leurs élus. Le site biblio-covid.fr rassemble toutes les ressources nécessaires pour mener à bien la réouverture des bibliothèques.
Pour les plus petits établissements, les bibliothèques départementales assurent également un accompagnement de proximité plus que bienvenu pour ces établissements majoritairement gérés par des bénévoles, personnes souvent âgées donc à risque face au virus…
Étape 1 de la réouverture
Concrètement, la priorité de la majorité des bibliothèques est de récupérer les documents, les isoler / décontaminer (10 jours pour s’assurer de l’absence de toute trace de virus) pour les remettre en circuit. Mais récupérer les documents n’est finalement pas si simple et les partisans de la boite de retour s’opposent aux défenseurs des remises en (presque) mains propres…
Au Mans, après une semaine soumis à rude épreuve, le robot de retour des documents est en maintenance.
A la bibliothèque départementale, le retour des documents disséminés dans l’ensemble du réseau n’est pas encore d’actualité. Vu la masse de documents à traiter, il faudra du temps pour aménager les locaux pour les accueillir.
Au même moment, un peu partout, des « drives » se mettent en place. À Angers, une des bibliothèques parmi les premières de France à avoir proposé ce service, le succès est tel que les équipes ont été contraintes de stopper pour un temps les commandes de documents afin de résorber les commandes passées.
Les drives répondent bel et bien à un besoin des usagers. Reste à trouver le meilleur moyen de mettre à disposition les documents.
Pour la bibliothèque départementale de Loire-Atlantique, une autre priorité réside dans la commande de livres auprès des librairies du territoire avec lesquelles elle travaille. C’est un axe fort qui place la bibliothèque dans un écosystème qu’elle souhaite soutenir dans cette crise. Car, malgré toutes les difficultés présentées ici, les bibliothèques et les professionnels qui y travaillent ont été plutôt épargnés par la crise notamment économique qui découlent du Coronavirus. Les salaires ont été maintenus pour tous, le télétravail s’est fait sans heurt… Reste néanmoins une inconnue sur les budgets à venir…
Et après ?
Difficile d’imaginer la suite tant la gestion du présent accapare les esprits, mais il est difficile pour un professionnel des bibliothèques de faire une croix sur tout ce qui rendait une bibliothèque conviviale. Sophie Rouyer espère pouvoir vivre une belle nuit de la lecture en janvier 2021. D’ici là, il faudra être « souple » et patient !