La Ballade silencieuse de Jackson C. Frank, de Thomas Giraud

Publié le 04/04/2018 par Amandine Glévarec
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La Ballade silencieuse de Jackson C. Frank — balade douce amère sur les pas d’un chanteur de blues, dévoré par le feu à l’âge tendre, guéri par la musique à l’âge adulte, mais qui jamais ne connaitra le succès. Thomas Giraud enquête et invente, nous livre un roman sensible et doux. Lecture par Amandine Glévarec.

Tout commence par un feu, un affamĂ©, un qui dĂ©vore, les enfants et la peau, qui laisse des traces, dans la tĂŞte, dans le corps.  Jackson s’en sort, y perd un ami, s’en sort et s’en relève, mais boiteux, mais greffĂ©, mais diffĂ©rent. Les annĂ©es passent et que faire de ce gamin rapiĂ©cĂ©, qui traine la patte et ses tonnes de mĂ©lancolie, sa timiditĂ©. La musique peut-ĂŞtre, comme voie de guĂ©rison, comme voix Ă©raflĂ©e, comme ultime envie. Alors, il y a la rencontre qui confirme, mĂŞme si elle infirmera plus tard, le King, le roi. Et puis il faut partir, non pas au soleil, quitter New York et rallier Londres, s’enfermer, se cacher derrière les paravents pour oser chanter. Et puis il faut revenir, de nouvelles dĂ©ceptions dans le sac dĂ©jĂ  lourd, se trainer, se figer devant le feu clignotant et regarder passer sa vie.

DrĂ´le de vie en l’occurrence que celle de Jackson C. Franck, ce qui est ignorĂ© par Thomas Giraud est comblĂ©, quand le  il  ne sait pas, le  je  s’impose, l’imagination aux commandes, roman doux, mais roman vrai. Il faut lire Thomas Giraud et voir l’homme derrière les mots, en retenue, toujours, un reproche, peut-ĂŞtre, l’homme qui prend de la distance, se sort Ă  grand peine de ses dĂ©sirs, de ses attentes, l’artiste devenu personnage, greffe de la fiction sur la rĂ©alitĂ©. Il faut donc voir les hommes, et le crĂ©ateur et la crĂ©ature, et les  je  nombreux comme liens, comme points de ralliements, comme points de suspension, qui parle ?

Roman charnel, incarnĂ©, on y revient toujours Ă  ce bout de peau, qui n’est pas Ă  sa place, qui n’a pas sa place, qui rappelle que l’un a survĂ©cu lĂ  oĂą d’autres ont pĂ©ri, qui marque la diffĂ©rence, qui devient honte, fardeau brĂ»lant. Ce qui brĂ»le ce n’est pas la voix, le blues se murmure, se marmonne, pas d’éclats, pas d’embrasement. Une voix qui vient d’ailleurs, du plus profond, qui doit sortir mais pour dire quoi, personne ne l’entendra, le succès ne sera pas au rendez-vous, Jackson avait-il de toute façon de quoi l’accueillir, lui qui se planque et lui qui se traine. Le feu a mangĂ© les enfants et a grignotĂ© Jackson, il n’est plus entier, il est rapiĂ©cĂ©, rĂ©tamĂ©, et son histoire, racontĂ©e, volontairement tenue Ă  distance, comme une voix que l’on ramène du royaume des morts mais tranquillement, sans attentes, sans fracas. Comme il est dit, dans le texte, je pioche, je paraphrase mais c’est juste:  “Il se perd dans le comment sans jamais parvenir au pourquoi.” Thomas Giraud ne se perd pas, il avance par petites touches, comment il sait faire, pourquoi… pourquoi pas. Alors il y a l’élĂ©gance, du geste et du propos, mais il n’y aura pas de palpitations, pas de rĂ©vĂ©lations, juste un portrait, en creux. Une lecture particulière qui se mĂ©rite, la relecture d’une vie qui mĂ©rite d’être faite.

La Ballade silencieuse de Jackson C. Frank, de Thomas Giraud, Ă‰ditions La Contre-allĂ©e, 176 p., 17 €, ISBN  : 978-2917817728.

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