Dans son premier livre, Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, Thomas Giraud scrute le personnage de Élisée Reclus par le prisme de l’imaginaire et de la sensibilité, en dégageant ce qui fonde la conscience et la liberté d’un homme en devenir.
“On connaît plus précisément la terre sur laquelle on a dormi, ses odeurs, son grain. Ces endroits de sieste lui donnent une connaissance détaillée, en fin de compte, de milliers de lieux-dits, d’arbres égarés, de rus entre deux champs.”
Thomas Giraud a choisi, dans son premier livre, Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, de se pencher sur le géographe Elisée Reclus (1830-1905), et plus particulièrement sur ses années de jeunesse. De la personne d’Élisée Reclus, il retiendra : qu’il dû s’arracher à l’emprise de son père qui avait décidé pour lui d’un destin de pasteur, qu’il portait un grand amour à sa mère, la douce Zeline, institutrice, qu’il eut de nombreux frères et sœurs. Son frère aîné, Élie, fut une figure tutélaire qui lui ouvrit la voie vers la libération. Élisée aimait marcher et refusait de manger de la viande. Il eut ce grand projet, qui demeura inachevé, de faire une représentation du monde à une échelle qui soit presque celle de la réalité. Ce qui montre qu’il est impossible de coller de trop près à la vérité, ou plutôt que la vérité ne se trouve pas dans un décalque du monde, sans part de création, ou d’imagination.
Suivant ce que son personnage lui enseigne, Thomas Giraud n’a pas fait œuvre biographique. Seules quelques indications de temps et de lieu sont données au lecteur, l’écrivain préférant opter pour un point de vue intimiste, une tentative de cerner le personnage par quelques détails signifiants et une compréhension “de l’intérieur”. Il adopte ainsi la démarche de l’apprenti géographe : une prédilection pour le détail, une absence de hiérarchie, une pensée ouverte. De petits faits font l’homme plus que la grande histoire, de petites pensées également, que Thomas Giraud nous fait partager sous l’appellation de “bout de pensée” qui ponctuent le récit. Élisée Reclus fut un être libre, un être d’étonnement. On le suit dans son long voyage à pied, de Sainte Foy à Neuwied, en Allemagne, dans ses années d’apprentissage, puis dans ses pérégrinations à sa sortie de l’école, alors qu’il a définitivement rejeté la profession de pasteur et qu’il quitte le collège avec pour tout bagage des carottes, des oignons et des pommes de terre. Marcher, écrire, on le pressent à la lecture du livre, seront les deux occupations essentielles de sa vie.
“Bout de pensée : demain je pars. Respirer, respirer, respirer, enfin.”
Thomas Giraud scrute son personnage par le prisme de l’imaginaire et de la sensibilité, avec un instinct sûr, pour le faire exister par l’écriture. Il a su dégager ce qui fondait la conscience et la liberté de l’homme en devenir, le sens d’une vie. Premier livre d’une grande maturité, porté par une langue dense et parfois proche de la prose poétique.
Le lecteur pourra prendre connaissance, avec intérêt et plaisir, de quelques traces du travail de Thomas Giraud sur le site Remue.net qui a accueilli des pages du journal d’écriture d’Élisée.
Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, de Thomas Giraud, Éditions La Contre Allée, 136 pp., 14€, ISBN : 9782917817544.