Pendant toute une journée, le 15 mars 2016, sur le Campus de La Roche-sur-Yon (85), les acteurs du livre et de la lecture des Pays de la Loire se sont rassemblés pour échanger et développer des pistes de coopération horizontale et verticale dans l'éco-système régional du livre.
Ces discussions, organisées à la faveur des principaux travaux entrepris dans les différentes commissions animées par Mobilis, sont présentées en fin d'article.
Coopérer, par Philippe Forest
En période de crise – et celle que nous traversons est si longue, si profonde que le mot même de « crise » n’y a plus beaucoup de sens –, la tentation du repli sur soi est grande. Si l’on y cède, on risque bien vite d’assister à une sorte de débandade où nul ne se trouvera épargné. Le « Chacun chez soi ! », le « Chacun pour soi ! » l’emportent. Ils sont l’expression d’un « Sauve qui peut ! » généralisé - « Sauve qui peut (la vie) ! » comme le proclamait avec pas mal de lucidité prophétique le titre d’un vieux film de Jean-Luc Godard. Les individus se retranchent au sein de leur petite forteresse privée dans le légitime souci de défendre prioritairement leurs propres intérêts immédiats – quitte à le faire sans les autres voire contre eux. A mesure que le monde se dégrade, la concurrence s’exacerbe, qui tourne au conflit. Plus les hommes et les femmes luttent pour leur seule situation personnelle, plus ils l’aggravent. Un cercle vicieux se met en place qui a toutes les apparences d’une spirale le long de laquelle on glisse et dégringole vers le fond. Si la politique sert à quelque chose – et c’est le cas malgré tout le mal qu’on en dit désormais –, c’est certainement à créer les conditions d’un cercle vertueux où la coopération et la compétition, loin de s’opposer, se tempèrent, se complètent, s’épaulent au point de devenir indispensables l’une à l’autre. Pas par générosité ou par altruisme mais, plus simplement et plus cyniquement, parce que coopérer va dans le sens de l’intérêt individuel et collectif bien compris.
Ce que je dis – et que je ne fais que rappeler – vaut à tous les niveaux et dans tous les secteurs. Mais, particulièrement, peut-être, dans le domaine de la culture. Selon une idée que la science économique a mise à la mode, il s’y joue un jeu à somme non nulle. Cela signifie : ce que l’un y gagne profite également à autrui ; ce qui est bon pour chacun l’est également pour tous. Loin d’être rivales les unes des autres, les différentes formes d’expression (littérature, musique, cinéma, arts plastiques et arts vivants, etc.), sont solidaires les unes des autres – et ceci quelles que soient les frontières factices que l’on trace entre elles afin de mieux opposer ce qui relève de la culture savante et de la culture populaire, ce qui procède de l’initiative privée ou ce que soutiennent les politiques publiques. Si les conditions d’un modus vivendi intelligent et équitable sont garanties, toutes les cultures – aussi différentes qu’elles paraissent- sont susceptibles de profiter de ce qui vient servir chacune : le développement d’une discipline artistique ne se fait jamais au détriment de la discipline voisine car le goût de connaître et celui de créer croissent et s’étendent à mesure que, quel que soit le champ où elles s’exercent, l’intelligence et la sensibilité se trouvent sollicitées. D’où la nécessité d’un dialogue, semblable à celui que vise à favoriser dans les Pays de la Loire la Commission Consultative Régionale de la Culture qui s’est réunie une nouvelle fois le 22 avril dernier.
Ce qui s’applique à la culture en général concerne également chacun des secteurs particuliers qui la composent. L’objectif essentiel de Mobilis vise, comme on sait, au renforcement de la coopération dans le domaine du Livre et de la Lecture de manière à ce que se développent des relations au sein d’un univers traditionnellement assez atomisé. La coopération s’y entend de deux manières différentes. D’abord, il s’agit, en lien avec les associations professionnelles et les structures institutionnelles déjà existantes, de favoriser les rapprochements entre les acteurs qui occupent une même place au sein de ce que l’on appelle la « chaîne du livre » : auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, médiateurs, enseignants, etc. Mais, ensuite et surtout, il s’agit d’établir entre ces différentes catégories d’acteurs les conditions d’une concertation et d’une collaboration qui soient profitables à tous et à chacun.
Ces deux formes de coopération – qu’on peut dire « horizontale » et « verticale » – sont indissociables. L’expression « chaîne du livre » est sans doute trompeuse et peut-être préjudiciable. Elle donne à penser que les acteurs impliqués forment comme les maillons, certes solidaires mais indépendants, d’un même ensemble à l’intérieur duquel pour chaque catégorie concernée les relations se limitent à celles qui l’unissent au maillon d’avant et à celui d’après. La réalité est tout autre. Quelle que soit la position spécifique qu’il occupe, chacun est directement intéressé à ce qui se passe partout ailleurs au sein de ce qui n’a aucunement l’apparence d’une « chaîne » mais ressemble bien davantage à une sorte d’espace pluriel, parcourable dans toutes les directions à la fois, où chaque point communique avec tous les autres et dépend directement d’eux. D’où la nécessité d’une entente et d’une collaboration entre ceux qui écrivent les livres et ceux qui les lisent ou les font lire, entre ceux qui les conçoivent et les fabriquent et ceux qui les prêtent ou les vendent, entre ceux qui ont pour charge de conserver vivant le patrimoine livresque d’hier et ceux qui inventent celui de demain. Car aucune de ces missions n’est indépendante de toutes les autres ni pleinement possible sans elles. La journée professionnelle intitulée « La coopération dans tous ses états » que Mobilis a organisée le 15 mars dernier en a donné quelques exemples, ouvrant ainsi plusieurs pistes.
Ce sont ces pistes qui demandent à être développées afin que se trouvent reliés des individus, des activités, des associations, des institutions, des sites qui, s’ils sont déjà à l’œuvre, coexistent parfois, ignorants les uns des autres, ou bien indifférents les uns des autres. De sorte que toutes ces pistes, se multipliant, construisent comme un véritable réseau parcourant tout le territoire matériel et immatériel – géographique, social, économique, culturel – de la région, comblant les vides qui y subsistent, établissant les conditions d’une coopération véritable, profitable à tous et à chacun, au service de la cause du Livre et de la Lecture.