Hier installées dans une relation de simple client avec les acteurs économiques de la chaîne du livre, les bibliothèques et collectivités publiques montent aujourd'hui de plus en plus de projets d’action culturelle en partenariat avec des libraires, éditeurs et auteurs.
Cet atelier s'est proposé de donner la parole à ces différents acteurs et de questionner la place de chacun au sein de ce nouvel équilibre.
Quelques éléments de contexte
Certains acteurs de la chaîne du livre connaissent des réorientations dans leurs activités ou les sources de leurs revenus. Ainsi semble apparaître, dans les échanges économiques entre acteurs, un transfert de la valeur des acquisitions documentaires des bibliothèques ou de la vente des livres édités pour les auteurs vers l’action culturelle.
Petit tour d’horizon pour les différents opérateurs de la chaîne du livre.
La librairie : L’économie du secteur des librairies reste très fragile, voire trop souvent déficitaire. Le recul du livre reste une tendance de fond même si une amélioration est apparue en 2015 et si le secteur est soutenu par les politiques publiques (LIR, loi sur le prix unique). Les difficultés ne concernent pas les seuls libraires indépendants mais aussi les chaînes qui s’orientent fortement vers la vente des appareils nécessaires à la lecture des produits culturels.
L’édition : Le modèle économique des éditeurs a un avenir incertain. Les éditeurs des grands groupes doivent faire face à une tendance au transfert de la valeur vers les plateformes technologiques qui permettent l’accès aux livres numériques. Rien ne semble bouger chez ces éditeurs qui peuvent apparaître crispés sur leurs marges.
Les auteurs : La situation des auteurs et de leurs revenus est elle aussi très incertaine. Ils ont mené des luttes collectives ces dernières années ou même en 2016 (retraites). Si les contrats ont évolué, la part de la valeur qui revient aux auteurs est ou sera menacée si le revenu des éditeurs tend à baisser à cause des plateformes de distribution.
Les auteurs, qui vivent rarement de leur plume, sont invités à compléter leurs revenus en réalisant des prestations telles que résidences, lectures, rencontres de lecteurs dans les bibliothèques, salons, librairies, classes…
Rémunérée au « tarif syndical », cette activité peut pourtant représenter une part importante des revenus des auteurs.
Les bibliothèques : Lors de la période de leur développement massif, dans les années 80 et 90, les bibliothèques ont cru soutenir le livre par leurs achats mais les auteurs et éditeurs n’y ont vu qu’un manque à gagner alors même que les libraires perdaient des marchés publics face à l’offensive des grossistes. Quoique le dispositif apparaisse compliqué pour tous et que la plupart des auteurs ne gagnent que quelques euros chaque année, le bilan de la Loi sur le « droit de prêt », qui limite depuis 2003 la remise accordée aux bibliothèques, est considéré comme positif.
Aujourd’hui, alors même que le livre papier n’est pas mort, les budgets des bibliothèques a baissé jusqu’à 16 % et ces collectivités font aussi face à un transfert de la valeur du livre vers les plateformes de ressources numériques dont les coûts sont sans commune mesure avec ceux des livres papier. Elles réorientent aussi leurs dépenses vers la médiation et l’action culturelle dans le cadre de la raréfaction des ressources publiques.
Évolution du modèle économique
Ainsi il semblerait qu’apparaisse dans le domaine du livre un modèle économique qui pourrait se comparer à celui d’autres domaines de la création. Les musiciens, par exemple, ne récupèrent que quelques centimes face aux majors qui n’ont pas permis de baisse de leur rente et face aux plateformes de distribution numérique et réinvestissent le champ de la rencontre avec leurs publics dans les concerts ou festivals. Les créateurs, auteurs ou musiciens, mais aussi plasticiens ont ainsi vu se développer de nombreuses opportunités de rencontres avec leurs publics lors d’ateliers de création, de résidences, de spectacles, de festivals.
Souvent soutenues par les collectivités, ces actions permettent une médiation vivante de la création qui est de bon aloi. Quoique les ventes ne suivent pas forcément, les librairies de premier niveau mènent aussi des actions qui apparaissent de plus en plus nombreuses dans le champ de la médiation de la création.
Ce transfert général nous montre, d’une part, que les flux financiers issus des politiques publiques se déplacent de l’achat des produits culturels vers l’achat de services culturels et que, d’autre part, une grande partie des créateurs ne vit plus de la vente de ses créations mais de services rendus aux habitants, subventionnés par la collectivité et payés par l’impôt.
• Sébastien Vassant, auteur de bande dessinée à Nantes
Sébastien Vassant témoigne de son expérience de résidence de création et de médiation en Sarthe au printemps 2015. Il y est venu réaliser un reportage en bande dessinée sur le territoire pendant 8 semaines. A cette occasion, des rencontres avec le public et des artistes ont eu lieu ainsi que des ateliers avec 120 collégiens. Une exposition de fin de résidence a eu lieu au Prieuré de Vivoin, lieu de séjour de l’auteur et établissement culturel en zone rurale.
Pour essayer de dégager les intérêts et contraintes éventuelles posés pour l’auteur par ce dispositif, Sébastien Vassant insiste sur le fait qu’il s’agissait d’un vrai temps de résidence sur le territoire, et non seulement une résidence « boîte aux lettres », ce qui implique une présence à demeure sur une période longue. Cette importance du séjour constitue également une contrainte, une réelle disponibilité restant nécessaire. Par ailleurs, s’il s’agit d’une source de revenus non négligeable dans une profession qui compte de nombreux précaires, cela demande un investissement personnel important. La préparation des ateliers et des rencontres, les temps de réunion avec les acteurs du territoire et le public sont autant de moments à la fois fondamentaux dans la bonne marche du projet, et chronophages. Il faut donc faire attention à ne pas se laisser piéger par ces temps qui viennent contraindre les périodes de création.
La place du porteur de projet est alors vraiment cruciale. La collectivité, la bibliothèque ou l’association qui conduit la résidence doit veiller au respect des conditions de séjour convenues en amont avec l’auteur. Ainsi, le temps de médiation ne peut dépasser 50% du temps global de présence de l’auteur en résidence. Sachant que tous les auteurs ne sont pas des médiateurs par nature, il convient de consacrer du temps à la préparation de ces ateliers ou rencontres autour de la pratique artistique. Au porteur du projet revient la responsabilité de compter ces temps de réflexion dans la part consacrée à la médiation pour ne pas noyer l’auteur invité et faire respecter son temps de travail personnel.
• Conduire un projet de résidence
Globalement, la principale difficulté dans la conduite d’un projet de résidence concerne la tenue de l’agenda… Articuler les différentes étapes de construction du projet, depuis le choix de l’auteur à la réalisation, en passant par la sollicitation des partenaires et la mise en place des interventions demande là aussi un temps long, souvent dépassant le cadre d’une année civile. Cela rend ainsi la demande de financement elle-même parfois compliquée dans la mesure où les budgets sont attribués par les partenaires pour une période de réalisation. C’est ce que souligne Olivier Bernard, de l’association La Turmelière, porteur de projets de résidence depuis de nombreuses années à Liré dans le Maine-et-Loire.
• Gwendal Oulès, librairie Récréalivres au Mans
Libraire spécialisé en jeunesse au Mans, Gwendal Oulès travaille beaucoup avec les collectivités et bibliothèques du département. Ses activités dépassent de loin la stricte activité commerciale et l’action culturelle compte pour une bonne part dans sa relation avec les professionnels du livre.
Membre de la commission Jeunesse au sein du CNL, il participe à la sélection de dossiers pour l’attribution de bourses auprès d’auteurs en création. Les critères ne se révèlent aujourd’hui pas toujours adaptés au contexte des collectivités. Suivre l’exigence de ce cahier des charges, soit faire venir un auteur pour trois mois pleins, coûte cher et demande une coordination que tous les porteurs de projets n’ont pas les moyens d’assurer. Il convient dès lors de repenser ces critères au regard des projets réalisables dans les territoires.
• Agathe Malaisé, L’Embarcadère à Saint-Nazaire
Cette jeune librairie qui ne travaille pas dans le cadre de marchés publics avec les collectivités, joue volontairement la carte de l’action culturelle. Avec l’auteur Joël Kerouanton, la librairie organise des cycles de rencontres où le lecteur devient lui-même critique littéraire. Ces rencontres permettent de rapprocher créateur et public, avec un leitmotiv précisé par les porteurs de projet : « La démocratie culturelle ne veut pas dire que tout le monde peut tout lire. Cela veut dire qu’il n’y a pas de goûts plus légitimes que les autres ». Ce travail rappelle celui mené par les bibliothèques, et représente une belle illustration des convergences imaginables entre professionnels du livre.
Anne-Laure Dodey, médiathèque de Saint-Nazaire
Damien Grelier, Bibliothèque départementale de la Sarthe
Quelles pistes de coopération pour le livre et la lecture en Pays de la Loire ?
Pendant toute une journée, le 15 mars 2016, sur le Campus de La Roche-sur-Yon (85), les acteurs du livre et de la lecture des…
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