🚨 Culture en Crise 🚨

Le livre en Europe - Une enquête en Italie

Publié le 02/10/2017

par Angèle Boutin, stagiaire à Mobilis en 2017. Master Médiation culturelle et Communication internationale.

 

En janvier 2017, j'ai été chargée par Mobilis de réaliser une enquête sur la filière du livre dans le Piémont en Italie. Il s'agissait d'une mission de préfiguration d'échanges professionnels entre les acteurs du livre des Pays de la Loire et ceux d'autre pays européens. MOBILIS, comme les autres pôles des filières culturelles des Pays de la Loire, s'intéresse en effet à la possibilité de développer des groupes d'échanges européens sur les pratiques professionnelles.

Notre choix s'est porté sur l'Italie parce que j'en parle la langue et que j'avais une connaissance du livre en Italie, mais aussi parce que cette région recèle une activité littéraire importante constituant un laboratoire intéressant pour notre enquête.

Après un temps de recherches et d'appréhension de la filière ligérienne, le temps des rencontres à Turin est venu. Au cours des trois mois que j'y ai passé, j'ai pu rencontrer une trentaine d'acteurs du livre parmi lesquels des éditeurs, auteurs, libraires, bibliothécaires et organisateurs de manifestations littéraires... Ces rencontres ont été riches, et elles ont toutes nourri mes réflexions. Des listes de questionnements, issues de mes recherches en amont, ont orienté mes entretiens qui ont cherché à saisir les principales problématiques des professionnels du livre piémontais. 

Notons tout d'abord que la filière italienne du livre n'est pas structurée avec un pôle livre comme c'est le cas en France notamment avec des structures régionales pour le livre comme Mobilis. 

Auteurs

L'un des principaux chantiers concernant les auteurs relève de la question du statut : la protection sociale, la valorisation du métier. En Italie la profession d'une personne est inscrite sur sa carte d'identité, cependant les auteurs ne peuvent pas inscrire la leur car elle n'est pas reconnue. Ce manque de reconnaissance se retrouve par la suite dans l'inexistence d'une protection sociale qui leur soit réservée. Ce sentiment est renforcé par le fait qu'il n'existe pas de syndicat ou de regroupement des auteurs. 

Par ailleurs, j'ai pu relever deux particularités italiennes : 

- La formation à l'écriture (ateliers, cours) est répandue en Italie là où la culture littéraire française cultive l'inné. Les auteurs payent eux-mêmes leurs formations et dispensent des ateliers et cours pour d'autres, notamment à la Scuola Holden à Turin. Serait-il intéressant de porter un regard croisé sur le système de formation des auteurs ?

- Le recours aux services d'agents littéraires en Italie apparaît souvent dès la publication du deuxième livre. Cette pratique reste marginale en France car le rôle dévolu à l'éditeur va de la correction des manuscrits à la cession de droits, et c'est lui qui est l'interlocuteur de l'auteur. Les auteurs souhaiteraient-ils échanger au sujet de leur représentation et de la relecture de leurs contrats par exemple ? 

Édition-librairie

En ce qui concerne les éditeurs et les libraires, le sujet d'échange qui pourrait être le plus intéressant est celui de la structuration en associations professionnelles.

En Italie, aucune aide financière n'est apportée à ses deux catégories professionnelles (une subvention avait été créée pour soutenir la cession de droits à l'étranger, mais elle a très rapidement disparu). 

Par ailleurs, l'Italie ne possède pas la culture de la structuration associative comme c'est le cas pour la France. Le plus souvent les maisons d'édition sont constituées en entreprise. Le marché italien est saturé par les publications des grands groupes éditoriaux, 40% du chiffre d'affaire du secteur est détenu par un seul groupe (Mondadori), suivi par deux autres grands groupes (Gems et Feltrinelli). J'ai cependant fait le choix de ne rencontrer que des éditeurs indépendants dans le cadre de l'enquête afin de me rapprocher des problématiques des éditeurs indépendants en Pays de la Loire.

Il m'est apparu que les éditeurs piémontais réfléchissent beaucoup à des collaborations internationales sur certains festivals. Certains éditeurs ont mentionné la possibilité d'accueillir sur leur stand au Salone Internazionale del Libro de Turin quelques titres d'éditeurs ligériens. 

Par ailleurs, les différences de travail de l'éditeur entre les deux pays pourraient sans doute constituer aussi une piste pour des regards croisés internationaux. En effet, la promotion et la communication en France semblent être en avance et plus développées par rapport à l'Italie. Cette dernière valorise une promotion télé qui fonctionne encore très bien lors des sorties de livre, là où en France le pouvoir de la télévision est moindre, le relais étant pris par l'influence grandissante des réseaux sociaux. 

Les libraires turinois, récemment fédérés en un réseau (Colti) réfléchissent de leur côté à une manière de mettre en place un label de librairies de qualités copié sur les Librairies de Référence françaises. La France semble avoir un temps d'avance dans ce domaine et sert donc d'exemple aux Italiens. Les plateformes et site de mutualisation de commandes de livres (librairiesindependantes.com ou Dilicom) en sont un autre exemple. Le prix unique du livre existe en Italie mais, à la différence de la France, la réduction maximale est fixée à 15% du prix de vente public et les grands groupes s'en emparent évidemment. 

 

Bibliothèques

De leur côté, les bibliothécaires français et italiens incarnent les même missions de service public. La carte de bibliothèque est gratuite, tout comme les expositions : il s'agit d'un lieu en libre-accès. Les autres activités comme les cours de langues ou d'informatique sont quant à eux payants. La question de l'ouverture le soir et le dimanche n'est pas aussi actuelle en Italie qu'elle l'est en France en ce moment. 

Mais les italiens font face à des problématiques similaires (baisse de budget, défense de la profession, etc.). La profession est toutefois moins reconnue qu'en France : nombre de bibliothécaires n'obtiennent leur premier poste qu'à un âge avancé ; les mairies placent des bénévoles non formés à leur place. 

Des échanges pour évaluer la place et le rôle des bibliothèques sur leur territoire seraient certainement porteurs. Les questions du public et de la valorisation des fonds patrimoniaux sont aussi des axes qui pourraient être pertinents, tout comme l'analyse des initiatives mises en place afin d'amener le public en bibliothèque.

Évènements littéraires

En Italie, les manifestations littéraires d'importance reçoivent une aide de leur région ou en obtiennent le soutien. C'est un modèle économique qui nécessite donc une recherche de sponsors et de mécènes. Les banques italiennes, comme la San Paolo à Turin, sont les principales mécènes des événements littéraires, à hauteur de 50% du financement global le plus souvent. 

Comme les éditeurs, les organisateurs de manifestations littéraires sont très intéressés par la mise en place de jumelages et de regards croisés internationaux. La création de dossiers de programmation communs et interrégionaux entre les deux pays pourrait être un sujet sur lequel réfléchir. Depuis 2015 l'Italie tente de mettre en place des réflexions autour des résidences artistiques et de leur ouverture à l'international suite à une Rencontre Internationale des Résidences Artistiques. Cette piste ne pourrait-elle pas être exploitée avec la France ? 

Mettre en place des temps de réflexion européenne ? 

J'ai pu identifier quelques « têtes de réseau » à Turin. Les libraires Rocco Pinto et Andrea Bertelli, Cecilia Cognigni, du réseau des bibliothèques de Turin, ou encore Anastasia Frandino, organisatrice de manifestations littéraires, pourraient être sollicités pour l'organisation à Turin de temps d'échanges professionnels sur un axe précis.

Il faudrait ensuite déterminer s'il est préférable de cibler une catégorie de professionnels ou plusieurs en même temps. Il faut reconnaître qu'il est toujours plus simple de solliciter des professionnels fédérés (les libraires par exemple) qu'une catégorie moins « organisée » collectivement (comme les auteurs). Pourtant, il ne faudrait pas que certains sujets passent à la trappe à cause de cela. 

C'est là que se situe le défi d'un projet de développement de relations européennes : pouvoir identifier des structures relais en Europe, qui, à l'image de MOBILIS, seraient prêtes à constituer et accueillir des groupes de professionnels pour permettre aux échanges d'avoir lieu dans les meilleures conditions.

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