Ils sont deux, et tous deux auteurs de bande dessinée repérés pour leurs travaux, notamment - mais pas exclusivement - documentaires. C’est une jolie amitié qui les unit.
Quand ils sont venus à Nantes, aucun des deux ne connaissait la ville. Benjamin Adam est parti de Strasbourg il y a huit ans pour vivre et travailler ici, d’abord au sein d’un atelier collectif, La Baie noire, dont il ne fait plus partie à ce jour, contrairement à Sébastien Vassant, nantais de fraîche date (depuis trois ans), conquis par la ville et le « vivier d’auteurs » que constitue la scène culturelle nantaise. Entretien.
Nantes et la bande dessinée
B. Adam : Du regroupement qui a lieu aujourd'hui, autour de projets comme Maison Fumetti ou Papiers Sonores avec Stereolux, je ne dirais pas qu'il s’agit d’une « école nantaise », c'est la jonction de différents courants, de vrais nantais et de nantais d'adoption. Il y a aussi ici un grand nombre de formation artistiques, privées et publiques, des évènements comme Kraft il y a quelques années, le festival Fumetti… un nombre hallucinant de dessinateurs et de collectifs.
S. Vassant : Il y a aussi une dynamique dans la ville qui donne envie de sortir de chez soi et de dialoguer entre auteurs/ateliers… C’est, je pense, lié à la motivation de plusieurs petits groupes d’auteurs qui servent de locomotives. Et surtout, à force de rencontres, cela donne des idées, des projets communs, à plus ou moins long terme.
La bande dessinée documentaire, pourquoi et comment ?
B. Adam : J’y suis venu via Vide-Cocagne, éditeur nantais voisin de mon atelier d'avant, Radar. Ils avaient édité un ouvrage collectif intitulé Les Désobéisseurs, une série de portraits en bande dessinée sur le service public. La Revue Dessinée n'existait pas encore. La bande dessinée documentaire (ou reportage, ou les deux) a rapidement pris une grande place dans ce que je fais, répondant à deux besoins différents mais indispensables : d'un côté, essayer de plus m'impliquer dans la vie sociale, de l'autre, trouver un moyen de vivre de la bande dessinée.
S. Vassant: Au départ, ce fut un pur hasard. C’est le scénariste Kris qui m’y a emmené à travers le livre Politique Qualité, mais aussi en m’embarquant dans l’aventure de La Revue Dessinée quand le projet a été lancé. J’ai accepté de façon totalement naïve mais curieuse. Avec le recul des années, comme pour Benjamin, ça pourrait correspondre à un besoin de témoigner de l’époque, d’interroger la vie publique et sociale dans mon travail.
B. Adam : On a essayé avec Catherine Le Gall, la journaliste avec qui j'ai travaillé deux fois, de construire les sujets ensemble ; de trouver le bon équilibre, pour se reconnaître tous les deux dans le résultat. Et au-delà du fonctionnement, sans son expertise, je n'aurais pas les connaissances, les capacités, la légitimité de travailler seul sur des sujets aussi techniques et sensibles que les emprunts toxiques ou les partenariats public-privé.
S. Vassant : Contrairement à Benjamin, j’avais travaillé en collaboration avec des scénaristes avant, essayant toujours de beaucoup m’impliquer dans la narration. La bd reportage permettait de pousser un peu plus cet aspect, tout en continuant de bosser en binôme. Mais le plus enthousiasmant, c’est de partager son temps avec des personnalités d’autres milieux. Il y a un échange de savoirs et de techniques foisonnant, qui permet aussi de s’interroger sur l’utilité de la bd, de manière ludique. J’ai appris qu’il ne fallait surtout pas avoir la prétention d’être journaliste ou reporter mais d’abord auteur, avec la part de subjectivité indispensable, pour que le récit soit plus humain, réel et ainsi crédible.
B. Adam : Je suis intéressé par la construction du récit, et les différents moyens d'utiliser le dessin et la séquence pour raconter au mieux. C'est quelque chose qu'on partage, avec Sébastien, parce qu'on se voit évoluer, qu'on a des influences et des lectures communes. Le documentaire, avec ce qu’il charrie d'informations techniques, de niveaux de lecture, est un terrain de jeu assez complet. Le fait qu'en lisant, on puisse revenir en arrière, relire plusieurs fois, prendre le temps de comprendre est aussi un point fort par rapport à l'audiovisuel.
S. Vassant : Comme dit Benjamin, pouvoir s’attarder sur des pages complexes, avoir un support visuel clair pour comprendre des données très techniques, est plus ludique pour le lecteur. Ce travail de bd reportage m’a permis de découvrir toutes les possibilités de la narration dessinée.
Comment définiriez-vous chacun, le dessin, l’approche, de l’autre ?
B. Adam : Son dessin est moins géométrique que le mien, plus vivant et fouillé – et il me semble, pour l'aspect documentaire en tous cas, qu'il est plus rigoureux que moi quand aux sources, aux déclarations réelles. Il est aussi plus bavard, et c'est une belle performance.
S. Vassant : On a un goût commun pour étudier les possibilités de la narration et la façon de traduire ça en dessin… Je me nourris beaucoup du travail de Benjamin. Il a une connaissance et une créativité graphique qui m’impressionnent… J’essaye d’apprendre de ça pour évoluer.