Tout l’été, Marc-Antoine Mathieu a été à l’affiche au Life de Saint-Nazaire avec une installation inspirée de son dernier album S.E.N.S. Portrait de cet Angevin, à la fois auteur de bande dessinée et graphiste-scénographe au sein de l’Atelier Lucie Lom.
Des univers graphiques variés dès sa jeunesse
Marc-Antoine Mathieu grandit dans les années 1960 dans une famille qui n’a pas la télévision. Sa culture de l’image se fait à travers les livres illustrés.
« Je suis le dernier d’une famille qui lisait beaucoup de bande dessinée. J’ai donc baigné dans un univers graphique très riche… ».
Timide et réservé, le dessin va lui permettre de s’exprimer : il réalise son premier fanzine au collège Mongazon, et, quelques années plus tard, à La tête en bas, librairie alternative angevine, il rencontre Moebius, Billal, Mézières, dessinateurs qui révolutionnent alors la BD. Après ses études à l’école des Beaux-Arts d’Angers, il signe sa véritable première bande dessinée, Paris-Mâcon, aux éditions Futuropolis, dont il co-signe le scénario avec ses deux frères.
Au sein de l’atelier Lucie Lom
Fin 1985, Marc-Antoine Mathieu rejoint l’atelier Lucie Lom qui vient d’être créé à Angers par Gilles Ollivier, Henri Mouzet et Philippe Leduc rencontrés en première année aux Beaux-Arts. Très vite, avec Philippe Leduc, il partage la même exigence sur le plan du graphisme. Le même humour aussi. Une première expérience en autoproduction d’exposition renforce leur désir de travailler ensemble et déclenche aussitôt des commandes, notamment pour le festival d’Angoulême. Ils bénéficient d’un double crédit :
« Philippe et son expérience de la mise en scène apporte beaucoup à la scénographie, moi ma connaissance de la bande dessinée ainsi que celle de la sculpture ».
Au sein de Lucie Lom, composé aujourd’hui de Philippe Leduc, Elisa Fache, Isabelle Rabillon et Marc-Antoine Mathieu, sont créées des installations telles que Les Rêveurs à Angers ou La forêt suspendue pour Lille 2004. Ils signent aussi des expositions scénographiées au Centre Pompidou, à la Cité des sciences, à la Cité Internationale de la Bande dessinée et de l’Image d’Angoulême ou encore pour le Festival de bande dessinée de Bastia.
Depuis L’origine, une aventure au long court
En 1991, il réalise L’origine, premier album de la série Julius Aquefacques, prisonnier des rêves : « L’origine est un livre patchwork, un livre manifeste aussi puisque le personnage découvre qu’il est un personnage de papier ». Cet album, Alph-Art coup de cœur du Festival d’Angoulême en 1991, est régulièrement réédité depuis 30 ans. De 1991 à 1995, il creuse le sillon des Julius. La série compte aujourd’hui six tomes.
« Cette série est un terrain à concept, sans réalisme : Julius n’a pas de regard, il n’y a de lumière qu’artificielle, par d’arbre, pas de femmes, tout est concept. Le personnage de Julius est une sorte de tuyau, de personnage vide, sans nombril, né d’un démiurge ».
Parallèlement il réalise une quinzaine d’albums one shot publiés chez Delcourt et à l’Association. Guy Delcourt, l’éditeur de L’origine, lui a toujours fait confiance :
« On a un peu démarré ensemble nos entreprises, lui sa maison d’édition, moi mon aventure avec les Lucie Lom... Il y a donc entre nous de la fidélité, un respect mutuel et une sorte de fraternité. Il est toujours étonné par mon jeu avec le médium ».
Son œuvre se caractérise par la récurrence de thèmes et questionnements sur le sens de la vie, l’identité, les rapports entre les hommes, le temps et la transmission... Son style est le plus souvent surréaliste et décalé. L’humour est omniprésent. Sur le plan formel, le noir et blanc, les jeux avec le médium constituent sa patte. Il se nourrit aussi beaucoup de ses lectures philosophiques, scientifiques, littéraires : il cite Borgès, Kafka ou encore Clément Rosset. Désormais son temps s’équilibre entre BD et Lucie Lom.
« J’ai toujours fait de la bande dessinée quand elle m’appelait, je ne me suis jamais forcé à en faire. Je n’ai jamais vraiment cherché à en vivre. Le fait d’avoir pu l’étaler dans le temps a été source d’équilibre pour moi. »
S.E.N.S., « un objet particulier »
Cet album sans texte, paru en 2014 chez Delcourt, met en scène un personnage balloté qui erre indéfiniment.
« S.E.N.S. figure un labyrinthe mais un labyrinthe à l’envers puisque tout est fléché et sans mur. Dans cet espace on peut aller partout et nulle part ».
On y retrouve beaucoup des préoccupations et thèmes qui traversent l’œuvre de Marc-Antoine Mathieu :
« S.E.N.S. est un point d’orgue (ou l’acmé) de quelque chose et en même temps fait la synthèse de pleins de lectures : il y a Beckett d’un côté, le désert de Borgès, une approche du labyrinthe qui concentre à la fois Ionesco, Kafka, Borgès... Il y a aussi du Sisyphe mais un Sisyphe en terrain plat. Sur le plan de la pratique créatrice c’est un récit qui a été fait de manière automatique. Le proto récit de S.E.N.S. a été très vite dessiné, comme un rêve qui aurait été décalqué. Avec S.E.N.S. j’ai travaillé le plus possible dans l’épure, un peu comme un haïku qui s’étendrait dans le temps. »
Nathalie Poux, alors responsable du Life à Saint-Nazaire, a vu dans cet album « une vanité, une histoire qui raconte la finitude, la poussière, sans doute la mort ainsi que la croyance qu’on peut être éternel. » Elle lui propose une installation, visible tout l’été 2015. « On a eu l’idée d’habiter le vide du Life, lieu immense mais génial, avec le vide de S.E.N.S. » Une immersion dans l’univers de Marc-Antoine Mathieu qui a permis aux visiteurs de découvrir les différentes facettes de son art, de la BD à la scénographie.
À noter que l’aventure de S.EN.S. va se poursuivre pour son auteur avec une expérience d’immersion en 3D. Un projet d’adaptation de l’album en réalité virtuelle est en cours avec la Société Red Corner qui a vu dans S.E.N.S., une matière fabuleuse pour une expérience narrative d’un autre type. Une nouvelle dimension que Marc-Antoine Mathieu n’avait pas imaginée, mais dont il se réjouit !