Rencontre avec Marc-Antoine Mathieu

Publié le 25/11/2015 par Christine Tharel-Douspis
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Tout l’été, Marc-Antoine Mathieu a été à l’affiche au Life de Saint-Nazaire avec une installation inspirée de son dernier album S.E.N.S. Portrait de cet Angevin, à la fois auteur de bande dessinée et graphiste-scénographe au sein de l’Atelier Lucie Lom.

Des univers graphiques variés dès sa jeunesse


Marc-Antoine Mathieu grandit dans les années 1960 dans une famille qui n’a pas la télévision. Sa culture de l’image se fait à travers les livres illustrés.

« Je suis le dernier d’une famille qui lisait beaucoup de bande dessinĂ©e. J’ai donc baignĂ© dans un univers graphique très riche… ».

Timide et rĂ©servĂ©, le dessin va lui permettre de s’exprimer : il rĂ©alise son premier fanzine au collège Mongazon, et, quelques annĂ©es plus tard, Ă  La tĂŞte en bas, librairie alternative angevine, il rencontre Moebius, Billal, MĂ©zières, dessinateurs qui rĂ©volutionnent alors la BD. Après ses Ă©tudes Ă  l’école des Beaux-Arts d’Angers, il signe sa vĂ©ritable première bande dessinĂ©e, Paris-Mâcon, aux Ă©ditions Futuropolis, dont il co-signe le scĂ©nario avec ses deux frères.
 

Au sein de l’atelier Lucie Lom


Fin 1985, Marc-Antoine Mathieu rejoint l’atelier Lucie Lom qui vient d’être créé à Angers par Gilles Ollivier, Henri Mouzet et Philippe Leduc rencontrés en première année aux Beaux-Arts. Très vite, avec Philippe Leduc, il partage la même exigence sur le plan du graphisme. Le même humour aussi. Une première expérience en autoproduction d’exposition renforce leur désir de travailler ensemble et déclenche aussitôt des commandes, notamment pour le festival d’Angoulême. Ils bénéficient d’un double crédit :

« Philippe et son expĂ©rience de la mise en scène apporte beaucoup Ă  la scĂ©nographie, moi ma connaissance de la bande dessinĂ©e ainsi que celle de la sculpture ».

Au sein de Lucie Lom, composé aujourd’hui de Philippe Leduc, Elisa Fache, Isabelle Rabillon et Marc-Antoine Mathieu, sont créées des installations telles que Les Rêveurs à Angers ou La forêt suspendue pour Lille 2004. Ils signent aussi des expositions scénographiées au Centre Pompidou, à la Cité des sciences, à la Cité Internationale de la Bande dessinée et de l’Image d’Angoulême ou encore pour le Festival de bande dessinée de Bastia.

Depuis L’origine, une aventure au long court


En 1991, il rĂ©alise L’origine, premier album de la sĂ©rie Julius Aquefacques, prisonnier des rĂŞves : « L’origine est un livre patchwork, un livre manifeste aussi puisque le personnage dĂ©couvre qu’il est un personnage de papier Â».  Cet album, Alph-Art coup de cĹ“ur du Festival d’AngoulĂŞme en 1991, est rĂ©gulièrement rĂ©Ă©ditĂ© depuis 30 ans. De 1991 Ă  1995, il creuse le sillon des Julius. La sĂ©rie compte aujourd’hui six tomes.
« Cette sĂ©rie est un terrain Ă  concept, sans rĂ©alisme : Julius n’a pas de regard, il n’y a de lumière qu’artificielle, par d’arbre, pas de femmes, tout est concept. Le personnage de Julius est une sorte de tuyau, de personnage vide, sans nombril, nĂ© d’un dĂ©miurge Â».

Parallèlement il rĂ©alise une quinzaine d’albums one shot publiĂ©s chez Delcourt et Ă  l’Association. Guy Delcourt, l’éditeur de L’origine, lui a toujours fait confiance :
« On a un peu dĂ©marrĂ© ensemble nos entreprises, lui sa maison d’édition, moi mon aventure avec les Lucie Lom... Il y a donc entre nous de la fidĂ©litĂ©, un respect mutuel et une sorte de fraternitĂ©. Il est toujours Ă©tonnĂ© par mon jeu avec le mĂ©dium Â».


Son Ĺ“uvre se caractĂ©rise par la rĂ©currence de thèmes et questionnements sur le sens de la vie, l’identitĂ©, les rapports entre les hommes, le temps et la transmission... Son style est le plus souvent surrĂ©aliste et dĂ©calĂ©. L’humour est omniprĂ©sent. Sur le plan formel, le noir et blanc, les jeux avec le mĂ©dium constituent sa patte. Il se nourrit aussi beaucoup de ses lectures philosophiques, scientifiques, littĂ©raires : il cite Borgès, Kafka ou encore ClĂ©ment Rosset. DĂ©sormais son temps s’équilibre entre BD et Lucie Lom.

 

« J’ai toujours fait de la bande dessinĂ©e quand elle m’appelait, je ne me suis jamais forcĂ© Ă  en faire. Je n’ai jamais vraiment cherchĂ© Ă  en vivre. Le fait d’avoir pu l’étaler dans le temps a Ă©tĂ© source d’équilibre pour moi. »

S.E.N.S., « un objet particulier Â»


Cet album sans texte, paru en 2014 chez Delcourt, met en scène un personnage balloté qui erre indéfiniment.

« S.E.N.S. figure un labyrinthe mais un labyrinthe Ă  l’envers puisque tout est flĂ©chĂ© et sans mur. Dans cet espace on peut aller partout et nulle part Â». 

On y retrouve beaucoup des prĂ©occupations et thèmes qui traversent l’œuvre de Marc-Antoine Mathieu :
« S.E.N.S. est un point d’orgue (ou l’acmĂ©) de quelque chose et en mĂŞme temps fait la synthèse de pleins de lectures : il y a Beckett d’un cĂ´tĂ©, le dĂ©sert de Borgès, une approche du labyrinthe qui concentre Ă  la fois Ionesco, Kafka, Borgès... Il y a aussi du Sisyphe mais un Sisyphe en terrain plat. Sur le plan de la pratique crĂ©atrice c’est un rĂ©cit qui a Ă©tĂ© fait de manière automatique. Le proto rĂ©cit de S.E.N.S. a Ă©tĂ© très vite dessinĂ©, comme un rĂŞve qui aurait Ă©tĂ© dĂ©calquĂ©. Avec S.E.N.S. j’ai travaillĂ© le plus possible dans l’épure, un peu comme un haĂŻku qui s’étendrait dans le temps. Â»

Nathalie Poux, alors responsable du Life Ă  Saint-Nazaire, a vu dans cet album « une vanitĂ©, une histoire qui raconte la finitude, la poussière, sans doute la mort ainsi que la croyance qu’on peut ĂŞtre Ă©ternel. Â»  Elle lui propose une installation, visible tout l’étĂ© 2015. « On a eu l’idĂ©e d’habiter le vide du Life, lieu immense mais gĂ©nial, avec le vide de S.E.N.S. Â» Une immersion dans l’univers de Marc-Antoine Mathieu qui a permis aux visiteurs de dĂ©couvrir les diffĂ©rentes facettes de son art, de la BD Ă  la scĂ©nographie.

Ă€ noter que l’aventure de S.EN.S. va se poursuivre pour son auteur avec une expĂ©rience d’immersion en 3D. Un projet d’adaptation de l’album en rĂ©alitĂ© virtuelle est en cours avec la SociĂ©tĂ© Red Corner qui a vu dans S.E.N.S., une matière fabuleuse pour une  expĂ©rience narrative d’un autre type. Une nouvelle dimension que Marc-Antoine Mathieu n’avait pas imaginĂ©e, mais dont il se rĂ©jouit !