On se retrouve autour d'un café aux Bien aimés, cette jolie librairie-salon de thé du centre de Nantes. Il m'a semblé que ce lieu singulier conviendrait à notre rendez-vous.
J'ai rencontré Pierre Barrault lors d'une lecture en librairie. C'était il y a peu, puisque ce garçon timide, ou tout au moins discret, vient de s'installer à Nantes. Un retour aux sources en quelque sorte, après des années parisiennes.
Pierre est né à Baupreau, le pays de Julien Gracq. Le lycée de la ville vient d'ailleurs de prendre le nom du grand homme. Ses parents avaient une maison sur les bords de l'Evre, les célèbres « eaux étroites ». Très attaché à la géographie de son enfance, il a gardé de beaux souvenirs du pays des Mauges. Il n'est pas pour autant gracquien. « J'aurais aimé l'être, dit-il, mais non, ce n'est pas pour moi. »
Après deux années d'études des Arts filmiques à Nantes, il part à Paris pensant poursuivre dans cette voie. Et finalement se retrouve libraire pour quelques années. À l'Oeil au vert dans le 13ème, puis à La belle Lurette, ainsi nommée en hommage à Henri Calet, dans le 4ème. Il passe douze ans à Paris qui sont, selon lui, des années de flâneries et d'errances. Mais la vie rappelle à l'ordre. Une petite Rose est née. Il faut quitter Paris, pour... Nantes, forcément Nantes. « À Paris, je pensais toujours à Nantes, à habiter sur les bords de l'Erdre. Nantes est une ville intelligente, effervescente, un terrain de jeu, on y respire ! »
Et la librairie ? Après avoir pensé y trouver un emploi dans l'une des nombreuses et bonnes librairies de la ville, voire caresser l'idée d'en ouvrir une, il renonce vite à cette folie, et ne songe même plus à « faire le libraire ». « Je n'en ai plus envie, je suis trop sectaire dans mes lectures, dit-il avec une certaine lucidité, il y a trop peu de livres que j'aurais à cœur de conseiller ».
Pierre Barrault est aussi revenu à Nantes pour se consacrer à son travail d'écriture. Mes préoccupations d'auteur sont incompatibles avec celles de libraire.
C'est donc riche de projets divers que Pierre s'est installé à Nantes, tout près de l'Erdre, avec sa compagne et sa fille. Ses journées se partagent entre les tâches très prenantes de père au foyer, promenades avec Rose au bord de l'eau et l'écriture. On se souvient d'avoir chroniqué sur ce site son premier livre Tardigrade. Le jour où l'on se retrouve, il m’apporte le second publié aux éditions Louise Bottu, (un nom inspiré par Robert Pinget) un de ces petits éditeurs courageux que la singularité n'effraie pas. Clonck ou les dysfonctionnements, n'est guère racontable en peu de mots. Deux personnages, qui semblent sortir d'une pièce de Beckett, en cherchent un autre dans une ville étrange où tout dysfonctionne. Ça ne ressemble à rien que l'on connaisse, et on rit énormément. Pierre affiche un air détaché quant au destin de ses livres, considérant qu'ils ne se vendront que peu. « Formidable ! je viens d'avoir une idée pour un nouveau livre que personne ne lira. Allons-y » s'exclame-t-il sur sa page Facebook. Une boutade évidemment, car il suit avec attention, ce qui est naturel, les critiques, et se réjouit d'être invité pour une rencontre en librairie. Ainsi quand l'excellente librairie Millepages à Vincennes lui consacre une soirée durant laquelle plus de quarante exemplaires seront vendus il ne boude pas son plaisir. Conscient de la singularité de son univers, confiant dans ses choix, il ne cherche pas à s'imposer sur ce qu'on nomme scène littéraire, mais à gagner en douceur le cœur des lecteurs exigeants, des libraires attentifs à l'originalité et à la qualité d'une écriture.
Avant de nous quitter, il me fait part de ses projets. Il y en a toujours plusieurs en cours. Avec malice, il évoque un livre sur la recherche d'emploi, où entrera sans doute une part de vécu. Et puis, un livre sur Nantes, un autre voyage à Nantes, pour tenter de rendre la ville enfin, vraiment surréaliste !
« Ce que j'aime dans la littérature dit-il encore, c'est aller où je ne veux pas aller. On a très envie de le suivre ! »