Tardigrade, de Pierre Barrault

Publié le 15/03/2018 par Alain Girard-Daudon
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Tardigrade, de Pierre Barrault, livre bien étrange qui montre une inventivité de tous les instants, des fulgurances poétiques qui donnent à ce premier opus tout son prix. Lecture d’Alain Girard-Daudon.

Voici un livre bien Ă©trange. Les Ă©ditions de l'Arbre vengeur nous ont habituĂ©s Ă  cela. Le catalogue de cette petite maison bordelaise (environ 150 titres tout de mĂŞme!) est une vĂ©ritable anthologie de l'absurde, du fantastique, de l'humour noir et vache ! On y trouve des classiques mĂ©connus de Lawrence, Bloy etc., des contemporains que nous aimons, Bailly, Claro, Chevillard. Tardigrade, le texte de Pierre Barrault, auteur nantais revenu au pays après un exil parisien, a ici toute sa place. 

Qu'est-ce qu'un tardigrade ? C'est un animal microscopique, appelĂ© aussi ourson d'eau, qui existe bel et bien, et dispose d'exceptionnelles capacitĂ©s de rĂ©sistance, au vide spatial comme aux tempĂ©ratures extrĂŞmes, Ă  tel point que les scientifiques considèrent qu'il sera peut ĂŞtre l'ultime rĂ©sident sur la terre quand les autres espèces auront disparu. 

À part cela la bête est plutôt moche, protéiforme, donc indescriptible, et hors du monde, asociale : “deux énormes yeux tubulaires enfoncés dans un gros crâne transparent ; évidemment, on est libre d'aimer comme de ne pas aimer”. Rejeté, solitaire... “On ne m'invite nulle part et c'est peut-être aussi bien”, voilà qui ne déplait pas à l'auteur de ce texte, qui fait de la différence et de la singularité une vertu.

ComposĂ© de sĂ©quences plus ou moins longues, le rĂ©cit est souvent Ă  la première personne. L'auteur semble donner la parole au monstre minuscule, mais on se dit bien vite que le narrateur est plus humain qu'il n'y paraĂ®t. On joue ici avec malice sur l'indĂ©cis, l'ambigu “Suis-je une patate ou une marmite ? Ça serait bien de se dĂ©cider, de trancher la question une bonne fois”, parlant du mollusque, c'est de l'humaine condition dont il est ici question, de la pauvre existence des hommes confrontĂ©s Ă  l'absurde. 

Même s’il y a un humour teinté d'amertume et de noirceur, on rit souvent dans ce petit livre. Il y a chez le narrateur quelque chose de Keaton ou de Tati, un héros burlesque égaré au pays des hommes. On pense aussi bien sûr à Kafka, ou au Palafox d'Éric Chevillard. Mais ce très singulier récit reste incomparable :

“C'est pour tromper ses ennemis que le tardigrade promène tous ces soleils ; pendant qu'ils pissent dessus pour en Ă©teindre le feu, au moins, ils ne touchent pas Ă  ses nuits. Ainsi peut-il dormir en paix.” 

On l'entend, il y a surtout une inventivité de tous les instants, des fulgurances poétiques qui donnent à ce premier opus tout son prix, et nous font attendre et espérer une prochaine parution.

Tardigrade, de Pierre Barrault, Ă‰ditions L'Arbre vengeur, 120 p., 10€, ISBN: 9-791091-5044-54.

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