Tardigrade, de Pierre Barrault, livre bien étrange qui montre une inventivité de tous les instants, des fulgurances poétiques qui donnent à ce premier opus tout son prix. Lecture d’Alain Girard-Daudon.
Voici un livre bien étrange. Les éditions de l'Arbre vengeur nous ont habitués à cela. Le catalogue de cette petite maison bordelaise (environ 150 titres tout de même!) est une véritable anthologie de l'absurde, du fantastique, de l'humour noir et vache ! On y trouve des classiques méconnus de Lawrence, Bloy etc., des contemporains que nous aimons, Bailly, Claro, Chevillard. Tardigrade, le texte de Pierre Barrault, auteur nantais revenu au pays après un exil parisien, a ici toute sa place.
Qu'est-ce qu'un tardigrade ? C'est un animal microscopique, appelé aussi ourson d'eau, qui existe bel et bien, et dispose d'exceptionnelles capacités de résistance, au vide spatial comme aux températures extrêmes, à tel point que les scientifiques considèrent qu'il sera peut être l'ultime résident sur la terre quand les autres espèces auront disparu.
À part cela la bête est plutôt moche, protéiforme, donc indescriptible, et hors du monde, asociale : “deux énormes yeux tubulaires enfoncés dans un gros crâne transparent ; évidemment, on est libre d'aimer comme de ne pas aimer”. Rejeté, solitaire... “On ne m'invite nulle part et c'est peut-être aussi bien”, voilà qui ne déplait pas à l'auteur de ce texte, qui fait de la différence et de la singularité une vertu.
Composé de séquences plus ou moins longues, le récit est souvent à la première personne. L'auteur semble donner la parole au monstre minuscule, mais on se dit bien vite que le narrateur est plus humain qu'il n'y paraît. On joue ici avec malice sur l'indécis, l'ambigu “Suis-je une patate ou une marmite ? Ça serait bien de se décider, de trancher la question une bonne fois”, parlant du mollusque, c'est de l'humaine condition dont il est ici question, de la pauvre existence des hommes confrontés à l'absurde.
Même s’il y a un humour teinté d'amertume et de noirceur, on rit souvent dans ce petit livre. Il y a chez le narrateur quelque chose de Keaton ou de Tati, un héros burlesque égaré au pays des hommes. On pense aussi bien sûr à Kafka, ou au Palafox d'Éric Chevillard. Mais ce très singulier récit reste incomparable :
“C'est pour tromper ses ennemis que le tardigrade promène tous ces soleils ; pendant qu'ils pissent dessus pour en éteindre le feu, au moins, ils ne touchent pas à ses nuits. Ainsi peut-il dormir en paix.”
On l'entend, il y a surtout une inventivité de tous les instants, des fulgurances poétiques qui donnent à ce premier opus tout son prix, et nous font attendre et espérer une prochaine parution.
Tardigrade, de Pierre Barrault, Éditions L'Arbre vengeur, 120 p., 10€, ISBN: 9-791091-5044-54.