La Bulle, rencontre du troisième lieu

Publié le 13/12/2019 par Patrice Lumeau
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À la fois médiathèque et pôle ressource bande dessinée pour la région des Pays de la Loire, ce lieu atypique, La Bulle à Mazé-Milon, se déguste au-delà de ses caractéristiques chiffrées (850 m2, une équipe de 6 professionnels, 18 bénévoles).

Il faut arpenter l’espace moderne et convivial. Ici une terrasse-lecture, où en été on peut apporter son goûter, là un salon-exposition. Le lieu se découvre et se décline à l’envi. L’espace salon, où l’on peut gracieusement s’offrir un café, n’est pas seulement un endroit pour se poser et discuter : l’œil est attiré par les cadres accrochés aux murs. Les ados utilisent beaucoup cet espace, c’est une manière douce de les amener à découvrir l’exposition en cours. La médiathèque possède un auditorium de 7 à 77 ans… pardon, de 77 places. Creuset des arts, il est dédié aux conférences, aux concerts et concerts dessinés, aux spectacles jeunesse, etc. L’architec-ture a été pensée et placée sous le signe de la convivialité.

Une ruche, La Bulle ? Sous son patronyme se cache une double dimension, le phylactère et l’espace cocon, où les rencontres se font multiples. Manon Bardin, directrice adjointe, définit La Bulle comme « une médiathèque de troisième lieu » (le premier étant le foyer, le deuxième le travail), un lieu où se construit le vivre ensemble et qui privilégie les relations humaines. La force de La Bulle est là. Et le rôle du pôle ressource n’y est pas pour rien.

Médiathèque municipale soutenue par des subventions de la Région et de la Direction régionale aux affaires culturelles, La Bulle perçoit un subside non négligeable de la Ville. Mazé-Milon lui consacre 10 % de son budget de fonctionnement.

Mais comment en est-on arrivé là ? Comment en « plaine » campagne angevine on en vient à installer une médiathèque moderne, pôle ressource régional de la bande dessinée ?

À l’origine, il y a l’ancien directeur de la médiathèque, François-Jean Goudeau, passionné et militant bande dessinée, puis de fil en aiguille l’installation à Mazé de l’auteur Téhem, qui fonde l’atelier BD Kawa ; puis encore en cette même ville le tournage par Pascal Rabaté du film Les Petits Ruis-seaux. Tous les éléments étaient en place pour que se construise en 2012 ce pôle ressource, conjoin-tement à la nouvelle médiathèque. Tout a concouru à faire de Mazé une terre de BD.

L’activité bouillonnante de La Bulle

À quoi identifie-t-on le pôle ressource ? À la farouche volonté de l’équipe de le faire vivre. Cela se traduit par des actions ponctuant l’année, des temps forts qui viennent s’ajouter entres autres choses aux 170 rencontres annuelles avec des scolaires.

Même si la BD s’affiche en enfant chéri (7 000 documents dont environ 6 500 bandes dessinées), ne croyez pas y trouver beaucoup plus de bandes dessinées, comics, mangas, romans graphiques, qu’ailleurs. Pourtant on vient d’Angers, à plus de vingt kilomètres. Alors si on vient de loin pour consulter et emprunter, c’est parce que le fonds BD « trempe » dans l’actualité des sorties. Un travail constant de désherbage est effectué pour suivre le volumineux flot des parutions, suivre jusqu’au bout les séries. Ici la BD est un trésor. Coralie Rabaud, la responsable du pôle ressource, ne manque pas de dispenser son temps et ses riches conseils pour guider le visiteur.

Le pôle de Mazé propose des formations pour les professionnels qui voudraient approfondir leurs connaissances, prête des expositions, développe sans cesse des actions pour permettre à tous les amateurs de découvrir et valoriser la BD. Il organise également sa journée professionnelle annuelle. Chaque année cette journée gratuite, conjuguée au thème de la saison (en 2019 : L’adaptation littéraire en BD), remporte un vif succès. Coralie Rabaud souhaiterait aller plus loin, « proposer plus de formations pour permettre aux professionnels des médiathèques de mieux s’approprier ce média. Et que la BD soit mieux mise à l’honneur ! »

En mai, Mazé fait son festival. Cases départ est né en 2017 en lien avec l’atelier Kawa, sous l’impulsion de deux résidents « historiques » : Téhem et Olivier Supiot. Avec cet événement, l’ambition s’affirme de s’ouvrir à un public plus large, pas forcément sensibilisé à cet art. La jeune équipe de la médiathèque et les auteurs ne manquent pas d’idées pour concocter le programme. Cette année (week-end du 18 et 19 mai), on trouve au menu un banquet mijoté avec une exposition, un concert dessiné en partenariat avec l’école de musique. Le but est clairement d’amener un public au-delà des bédéphiles grâce à des manifestations conviviales non exclusivement estampillées BD.

Pour briser le mur entre l’auteur et le lecteur, rompre avec le processus consumériste inhérent à un festival, les artistes ont voulu d’autres pratiques. Ainsi une séance originale de dédicaces se déroule, du style « troc en stock ». De mémoire de bibliothécaires, on y a vu un dessin se troquer contre… un pot de confiture… ou un vinyle… ou un poème. Au public d’être imaginatif. Le participatif est de mise. Idem avec Une case dans l’objectif, qui consiste à reproduire photographiquement une case de l’exposi-tion visitée.

Le festival se veut à l’image de la médiathèque. Manon Bardin précise : « Un festival non axé sur la consommation, désacralisé et avant tout au service du public. »

La face cachée de La Bulle

Moins visible que le festival, l’achat de dessins pour constituer un fonds contemporain s’inscrit dans la politique du pôle res-source. À quoi s’ajoute une mission patrimoniale, consécutive à d’importants dons. Cette mission de conservation non programmée au départ s’est rapidement imposée. Tout ce patrimoine devient une richesse supplémentaire. Mais de l’avis de l’équipe il manque encore de visibilité, auprès des étudiants comme des professionnels.

Le soutien à la création et aux jeunes talents, ligne claire du pôle ressource, s’exprime avec une résidence de deux mois pour un artiste. Résidence rendue possible grâce au financement de la Drac Pays de la Loire et à la volonté politique de la Ville qui met une maison à disposition. Les conditions de résidence : avoir été édité et avoir un contrat d’édition en cours. Parmi les résidents, on peut citer Lucie Durbiano, Chloé Wary, Zeina Abirached. Cette année, la place a été attribuée après appel d’offres à l’auteur du Voleur d’estampes, Camille Moulin-Dupré (qui a participé au film d’animation de Wes Anderson, L’Île aux chiens). Ces séjours, Coralie Rabaud souhaiterait les « tester sur une plus longue période pour organiser plus de rencontres, toucher plus de publics, un peu à la manière de la maison des auteurs d’Angoulême ».

En plus de son agenda culturel enrichi par les dessinateurs, La Bulle se livre à l’édition. Après avoir édité un mook ciblant un public d’érudits, La Bulle s’est orientée vers une autre formule. Hors Cases existe depuis 2018 au format papier et en numérique. Avec deux parutions gratuites par an, le magazine s’est ouvert à un public plus large. À la fois édition critique et espace de réflexion, il mobilise l’équipe et le service communication de la municipalité.

Enfin, faire vivre la BD passe aussi par le prix littéraire Ellipse(s), qui propose dix livres – une sélection éclectique du personnel de la médiathèque – et parvient à réunir plus de cent participants. Cette année, la médiathèque de Bressuire s’est emparée d’Ellipse(s). « Nous aimerions que d’autres médiathèques fassent de même », ajoute Coralie Rabaud. À bon entendeur…

Il reste encore beaucoup à faire. La bande dessinée est un élément à part entière de la culture. Manon Bardin souligne qu’il ne s’agit rien de moins que de « la démocratiser, l’apporter dans les classes », et de rappeler : « On peut lire des mangas, ce n’est pas que de la violence. » Les images ont la peau dure, à l’instar du fameux « Tu devrais prendre un vrai livre ! », sentence de parents adressée à leur enfant, entendue à La Bulle. Casser les clichés reste encore et toujours un combat à mener. Et plutôt que d’être le petit village qui seul résiste, Mazé au contraire met tout en son pouvoir pour faire rayonner la bande dessinée. Les idées ne manquent pas. L’équipe rêve d’une « bédéthèque » (une idée soufflée par Olivier Supiot). Les planches originales pourraient être prêtées à des particuliers. Loin d’être coincée, La Bulle ne demande qu’à faire entrer le rêve dans la réalité ; le début d’une belle saga.

La Bulle – Médiathèque de Mazé
16, rue de Verdun, 49630 Mazé-Milon
02 41 80 61 31 – mediatheque@maze-milon.fr
www.mediathequelabulle.maze-milon.fr

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