Nos abris, le nouveau recueil d’Albane Gellé, s’interroge sur la vie quotidienne et sur les “boucliers” qui déjouent « les pièges de la mélancolie”. Lecture de Claire-Neige Jaunet.
Le recueil d'Albane Gellé Nos abris se veut une suite de petits monologues ou quelques solitudes solidaires. Qui est en effet ce tu à qui l'auteure adresse des questions : un autre soi-même, ou bien un vous déguisé à qui il arrive de se démasquer ?
Ces petits monologues sont tissés comme une trame dont le fil s'accroche à la boucle précédente pour en assurer le maillage, et ce fil qui court d'un texte à l'autre se décline en cailloux, danse, montagne, chaise, loup, arbres, plantes... et tout ce qui se faufile à l'intérieur "quand le crâne est fendu". Et "tous les sujets sont bons pour que des larmes arrivent".
Sauf que les larmes, les petits monologues sont là pour leur dire "ouste", et chercher la chose même minime qui "retient", qui demeure debout, la chose qui servira d'antidote, ou plus exactement de "boussole" pour entreprendre "une grande exploration". Un simple "bout de ficelle" ou "un brin de paille" suffit pour ouvrir des chemins, des "couloirs d'air", et éveiller des visions et des émotions.
Pour cela, le privilège revient à la contemplation des arbres, ou des ciels de toutes les saisons qui peuvent nous "traverser" ou nous "transformer"; il y a bien sûr aussi les livres, qui mettent du dehors dans le dedans, et aussi la marche, qu'on voudrait légère pour glisser sans s'enliser. Les "boucliers" ne manquent pas pour "déjouer les pièges de la mélancolie" et nous assurer dans nos abris... Ils sont à portée de main, dans les gestes domestiques qui "allègent", dans les objets de la maison chargés de récits, dans les petits rituels quotidiens, dans les soins prodigués au jardin, dans les promenades au gré des rues, dans chacune de nos occupations...
Tout est dans le regard que nous posons sur ce que nous faisons et sur le monde autour de nous ; tout est dans l'accueil que nous réservons aux menus détails que l'on peut percevoir dans une vie "ordinaire"; tout est dans l'art de mettre nos sens à l'affût de ce qui se passe dans "mon petit et grand cosmos".
Mais l'équilibre de la représentation est fragile, toujours sous la menace du "rideau" susceptible de s'ouvrir et de révéler la mise en scène d'un théâtre intime en quête de repos, ce que les dessins d'Anne Leloup ont bien saisi, avec leurs motifs noirs, irréels, surgis de l'imagination, aléatoirement posés dans l'espace de la page blanche, parfois sous dimensionnés, parfois en déséquilibre, et comme cherchant un refuge dans les angles moins exposés: "dans un monde sans paroles et sans larmes".
Nos abris, d'Albane Gellé, avec des lithographies d’Anne LeLoup, Éditions Esperluète, 52 p., 14 €, ISBN : 978-2-35984-107-7.