Le paysage, c’est New York dans le nouvel album de photos de Michel Durigneux, mais le regard se porte surtout sur ceux qui en font l’âme. Lecture de Claire-Neige Jaunet.
Bernard Bretonnière, dans la préface qu'il consacre au recueil de photographies de Michel Durigneux Dans mes yeux l'Amérique, parle de la longue attente du photographe à l'affût de “l'instant extraordinaire” qu’il faut saisir pour révéler un “instant de vie”, fait de la rencontre d’un paysage et de ceux qui l’habitent.
Le paysage, ici, c’est New York, reconnaissable par quelques lieux emblématiques (Manhattan, pont de Brooklyn…), mais le regard se porte surtout sur ceux qui en font l’âme. Dans chacune des quarante photos qui constituent le recueil, les individus sont présents, tantôt en gros plan tantôt installés dans le décor, sous forme de portraits statiques ou en mouvement, seuls ou par deux ou en groupes.
Même lorsqu'ils semblent absents ils sont là : ainsi cette photo d’une terrasse de café déserte, où la présence humaine est réduite aux personnages des posters qui annoncent une exposition de Tim Hetherington ; ou encore la photo de ce chien émergeant d’un sac à dos posé entre deux pieds, présence minimale du maître (ou de la maîtresse) par simple métonymie.
C’est aussi le caractère cosmopolite de la population que cette collection de rencontres met en évidence : ici des peaux noires, là deux blondes cheveux au vent, ailleurs une brune au teint clair, ou une femme aux yeux bridés… Tous les âges sont également représentés, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse. Le photographe attrape le côté vivant de l’Amérique, vu à travers le prisme de New York la ville-monde: personnages en marche, assis, en conversation, au repos, en contemplation, affairés, pensifs, yeux ouverts ou fermés, aux expressions rieuses ou rêveuses ou soucieuses, aux gestuelles variées. Ce sont les êtres qui font l’Amérique. Pour preuve ces cadrages où le décor urbain n’apparaît plus, remplacé par un effet de flou, afin de laisser la place aux seuls personnages. Mais c’est aussi un univers d’objets qui s’impose : celui des téléphones portables tenus dans la main en pleine rue, des bouteilles et des cannettes qui accompagnent la déambulation, du mobilier urbain. Au point que parfois l’objet empiète sur la figure humaine, la cache en partie, telle cette jeune femme dont le visage manque de disparaître derrière un panneau d’affichage, ou ce couvercle d’ordinateur qui fait passer l’utilisatrice au second plan.
Et que dire de ces photos où les êtres sont vus de dos, sinon que ce qui fait la ville, c’est cette fusion d’anonymes dans un mode de vie, dont on perçoit la grande fantaisie: coiffures originales, chapeaux de toutes sortes, tenues excentriques ou classiques… en toute liberté ! Près du pont de Brooklyn un homme s'adonne à une posture insolite, à une table un couple s’embrasse à côté d’une tourterelle en cage. Ce sont tous ces êtres, chacun immergé dans l'univers de ses occupations et de ses préoccupations, qui font le grand creuset de l’Amérique; et, comme le dit Bernard Bretonnière, Michel Durigneux en saisit le meilleur avec empathie.
Dans mes yeux l'Amérique de Michel Durigneux, Jacques Flament Éditions, 45pp., 20€, ISBN: 978-2-36336-277-3.