D’écrire, un peu, d'Antoine Emaz

Publié le 25/01/2019 par Claire-Neige Jaunet
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Dans D’écrire, un peu, Antoine Emaz revisite ce qui légitime la poésie ainsi que ses propres exigences de poète. Lecture de Claire-Neige Jaunet.

"Tenter de dire (...) comment j'écris" : voilà le projet que se donne Antoine Emaz en écrivant D'écrire, un peu – un projet ambitieux, que le recueil développe bien au-delà "d'un peu". Tenter de dire comment on écrit, cela revient à examiner comment on vit ses émotions, car le poète "répond au choc par l'écriture". L'écriture va chercher le versant "ombreux" de la conscience et compte sur les mots pour "reprendre pied". Elle puise son énergie dans la mémoire, l'intuition, et l'instinct de vie. Elle ignore l'importance objective des choses dont elle parle car elle naît dans le "vivre, regarder, ressentir". Elle se réalise pas dans le temps présent, souvent trop "épais", mais dans le temps différé. La visée esthétique n'est pas son moteur, il faut "seulement laisser la vie bouger librement", la laisser devenir langage. Le poète doit "s'effacer" et cueillir la "force-forme primitive". Polir l'expression est une étape nécessaire car le vrai ne donne pas nécessairement le ton juste, mais c'est une étape tardive où le souci de préserver l'élan premier doit demeurer constant.

Si la poésie puise sa sève dans la vie, elle ne rend cependant pas compte du biographique. Son but est de restituer "une certaine intensité de vivre", que la vie ait été banale ou extraordinaire. C'est une "fusion" mystérieuse qui s'opère chez le poète : "vivre-écrire". L'écueil à éviter est de ne pas se satisfaire du savoir-faire acquis et des modèles des maîtres, car il ne s'agit pas "d'ajouter un livre aux livres" qui n'apporterait rien de neuf. Chaque page d'un recueil doit communiquer sa musique propre, cela demande une patient travail "d'écoutes et de tâtonnements" et une grande disponibilité aux multiples formes que peut prendre la poésie. Pour qu'une œuvre s'impose, il faut que dans chacun de ses écrits la tension du vivant déborde de la forme.

"Travail sur la langue, travail sur soi", "trajet" d'un livre à l'autre sans savoir où l'on va, restitution des variantes et des répétitions de la vie, de ses évidences dérisoires et de ses chocs surprenants... la poésie est tout cela, elle "porte le vivant". Mais pourquoi écrire ? Pour comprendre la vie? Pas sûr. Ecrire pour la dire, cela suffit. En se posant la question de l'écriture, Antoine Emaz revisite ce qui légitime la poésie ainsi que ses propres exigences de poète.

D'écrire, un peu, d'Antoine Emaz, Éditions AEncrages & Co, 34 p., 15€, ISBN 978-2-35439-094-5.

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