Partant d'un "interrogation sourde", le poète Antoine Emaz engage dans Planche un discours où s'invitent des réflexions sur la littérature et des notations sur "l'entassement de ces riens qui finit par faire une existence".
L'écrivain qu’est Antoine Emaz depuis de nombreuses années se demande encore ce qu'est l'écriture. Surtout pas un message crypté que seuls quelques intimes pourraient déchiffrer. Le poète écrit "possiblement pour tout le monde" et pour donner à vivre plus intensément. Pour atteindre ce but, la forme reste très importante. Encore convient-il de faire la différence entre la langue, qui permet la circulation de l'intention, et la technique, qui "risque de faire perdre au poème toute sa vitalité". Soucieux de précision, Antoine Emaz revisite la traditionnelle opposition entre prose et poésie (pas pertinente à ses yeux), la notion de genres (trop floue), ou encore le tragique et le pathétique, qui, plus qu'une question de tonalités, lui semblent exprimer deux vécus distincts, celui du personnage et celui du spectateur.
Le vécu : mot clé pour comprendre Antoine Emaz. C'est avec son expérience d'écrivain qu'il parle de l'écriture.
Ce qui l'émerveille : le moment où se présente à lui "la possibilité d'un poème".
Ce qui le passionne : "l'acte même d'écrire, lorsque l'intensité de l'expression fait fondre réalité et langue en un poème".
Ce qui le guide : la recherche de la "justesse" pour donner à entendre le "vrai". Ce qui l'enrichit : la relecture de ses propres œuvres, qui suggère toujours des "retouches", preuve que l'écrivain, quand il a réussi à "basculer les mots sur la page", peut sans cesse polir l'ouvrage ("travail de menuiserie", "boulot de bijoutier"...). Ce qu'il faut affronter: le "doute", qui "n'est pas une option" mais une réalité qui s'impose.
Antoine Emaz, qui aime se "sentir dans la circulation des oeuvres des autres", évoque également, et largement, son expérience de lecteur, citant des auteurs et des textes, analysant ça et là ce qu'il y perçoit. Ses souvenirs de lecture s'immiscent dans sa pensée à tout moment: un parquet luisant ou le bruit des couvreurs qui réparent un toit voisin font resurgir des vers de Baudelaire...
Car l'écriture ne détourne pas de la vie. Il faut "écrire cette glu du réel", du moins "écrire ce qui se peut". Les préoccupations littéraires voisinent avec tout ce qui fait la chair d'une journée: les exigences du métier, une carte postale retrouvée, un mal de dos, la familiarité d'un lieu (Angers, Pornichet, la route de Saint-Nazaire...), un geste, une odeur, une parole entendue... Même les "temps morts", pour le poète, ne sont pas des "moments de vide". Le quotidien fait surgir des questions existentielles, des réflexions sur la solitude, sur le temps, la mémoire, le vieillissement... et contient "un héroïsme invisible". Il ne s'agit pas de vivre et d'écrire, mais d' "écrire-vivre", pour se sentir un peu plus "entier".
Planche, d'Antoine Emaz, Editions Rehauts, 129 pp., 16€, ISBN : 978-2-917029-29-9