Le dernier cerisier, de John Taylor

Publié le 12/03/2019 par Claire-Neige Jaunet
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Le dernier cerisier de John Taylor, un recueil de poèmes où la "lumière ourlée de noir" est celle du paysage intérieur, à la fois dévasté et rayonnant. Lecture de Claire-Neige Jaunet.

Une estampe : voilĂ  le mot qui vient Ă  l'esprit lorsqu'on referme le recueil de John Taylor, Le dernier cerisier, traduit par Françoise Daviet-Taylor et illustrĂ© par Caroline François-Rubino. Une estampe, parce que tout dans cet ouvrage en a la finesse. Les aquarelles sont le parfait miroir des Ă©motions que gĂ©nère l'univers textuel, avec, d'abord, d'imprĂ©cises silhouettes d'arbres qui se fondent dans le gris bleutĂ© d'un paysage vague ; puis viennent des teintes plus soutenues, et des touches de noir tantĂ´t hĂ©rissĂ©es comme des scarifications, tantĂ´t Ă©tendues aux cĂ´tĂ©s de larges trouĂ©es blanches ; viennent enfin des paysages de neige semĂ©s de minuscules motifs sombres semblables Ă  d'Ă©nigmatiques prĂ©sences. 

Les mots, quant Ă  eux, sont porteurs d'Ă©vocations dĂ©licates. Il y a le cerisier, bien sĂ»r, ce "tĂ©moin de tout et de tous" dont la rĂ©alitĂ© Ă©chappe, dont la "matière" se confond avec celle de "nos vies" et les silences dans la mĂ©moire, et qui convoque la vision d'une "femme en kimono" tendrement mĂŞlĂ©e Ă  la "douce image" de la mère. 

Il y a aussi les champs et les espaces qui deviennent des "jardins secrets"... Et il y a surtout la neige, qui a Ă©veillĂ© la peau aux sensations vives de "froid" et d'"humiditĂ©", qui a parĂ© de gel et de givre les "longs hivers" de l'enfance, et donnĂ© la dimension du rĂŞve et de l'infini — infini du cosmos "sans bornes" perceptibles, et infini du temps qui dĂ©roule ses Ă©tapes, ses "auparavant", "maintenant", "plus tard", ses "jamais" et ses "lointains"...  

Comme l'eau de l'aquarelliste qui dilue les couleurs pour les fondre dans un ensemble, la neige harmonise dans un mĂŞme "miroitement" la blancheur des pĂ©tales, de la glace, du froid, et de la mort, l'opacitĂ© du crĂ©puscule et celle de la brume, les Ă©lancements du souvenir et ceux du non-accompli. Sa lumière compose avec l'obscuritĂ© de la nuit un "linceul noir" oĂą "persistent" des silhouettes d'arbre. 

Cette "lumière ourlée de noir" est celle du paysage intérieur, à la fois dévasté et rayonnant, la nuit y peut tomber "en plein jour" et la clarté y est à la fois "sombre" et "chaude". Dans ce contexte, le texte original en anglais, qui prend la suite de la traduction en français, apparaît comme le point d'orgue nécessaire au "souviens-t'en" des dernières pages : une reprise nuancée, une remontée aux sources, une saisie du "temporaire" qui reprend vie et sens à la faveur d'une réminiscence.

Le dernier cerisier, de John Taylor, Ă‰ditions Voix d'encre, 76 p., 19€, ISBN 978-2-35128-152-9.

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