Le dernier cerisier de John Taylor, un recueil de poèmes où la "lumière ourlée de noir" est celle du paysage intérieur, à la fois dévasté et rayonnant. Lecture de Claire-Neige Jaunet.
Une estampe : voilà le mot qui vient à l'esprit lorsqu'on referme le recueil de John Taylor, Le dernier cerisier, traduit par Françoise Daviet-Taylor et illustré par Caroline François-Rubino. Une estampe, parce que tout dans cet ouvrage en a la finesse. Les aquarelles sont le parfait miroir des émotions que génère l'univers textuel, avec, d'abord, d'imprécises silhouettes d'arbres qui se fondent dans le gris bleuté d'un paysage vague ; puis viennent des teintes plus soutenues, et des touches de noir tantôt hérissées comme des scarifications, tantôt étendues aux côtés de larges trouées blanches ; viennent enfin des paysages de neige semés de minuscules motifs sombres semblables à d'énigmatiques présences.
Les mots, quant à eux, sont porteurs d'évocations délicates. Il y a le cerisier, bien sûr, ce "témoin de tout et de tous" dont la réalité échappe, dont la "matière" se confond avec celle de "nos vies" et les silences dans la mémoire, et qui convoque la vision d'une "femme en kimono" tendrement mêlée à la "douce image" de la mère.
Il y a aussi les champs et les espaces qui deviennent des "jardins secrets"... Et il y a surtout la neige, qui a éveillé la peau aux sensations vives de "froid" et d'"humidité", qui a paré de gel et de givre les "longs hivers" de l'enfance, et donné la dimension du rêve et de l'infini — infini du cosmos "sans bornes" perceptibles, et infini du temps qui déroule ses étapes, ses "auparavant", "maintenant", "plus tard", ses "jamais" et ses "lointains"...
Comme l'eau de l'aquarelliste qui dilue les couleurs pour les fondre dans un ensemble, la neige harmonise dans un même "miroitement" la blancheur des pétales, de la glace, du froid, et de la mort, l'opacité du crépuscule et celle de la brume, les élancements du souvenir et ceux du non-accompli. Sa lumière compose avec l'obscurité de la nuit un "linceul noir" où "persistent" des silhouettes d'arbre.
Cette "lumière ourlée de noir" est celle du paysage intérieur, à la fois dévasté et rayonnant, la nuit y peut tomber "en plein jour" et la clarté y est à la fois "sombre" et "chaude". Dans ce contexte, le texte original en anglais, qui prend la suite de la traduction en français, apparaît comme le point d'orgue nécessaire au "souviens-t'en" des dernières pages : une reprise nuancée, une remontée aux sources, une saisie du "temporaire" qui reprend vie et sens à la faveur d'une réminiscence.
Le dernier cerisier, de John Taylor, Éditions Voix d'encre, 76 p., 19€, ISBN 978-2-35128-152-9.