Courir à l’aube, de Frédérique Germanaud

Publié le 20/01/2017 par Bernard Bretonnière
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Dans Courir à l’aube, son nouveau livre, Frédérique Germanaud se penche sur un deuil. Un livre où les mots “surprennent” de par leur justesse et où se révèle “une exigence d’artiste, sans concession, ni visée séductrice”. Lecture de Bernard Bretonnière.

Questions préalables : Qu’est-ce que le roman, la poésie, le théâtre, la prose, le récit, la fiction, le vécu, l’essai, l’autofiction, le réel, le fantasme, etc. ? Pourquoi ces étiquettes, ces boîtes?

Il n’y a pas de littérature sans surprise : la qualité première d’une œuvre littéraire n’est-elle pas de surprendre? À différents niveaux ; dans le scénario peut-être, mais plus sûrement dans le construction du récit, dans la pensée, dans le vocabulaire, dans la phrase. Ainsi, les mots de Frédérique Germanaud ne sont-ils presque jamais attendus (le mot juste, le plus juste, est rarement le premier venu en tête) et, partant, portent davantage. En sorte que, par des choix qui donc surprennent, Frédérique Germanaud atteint à une justesse incomparable, dans chacune de ses lignes. On pourrait suspecter là quelque maniérisme, quelque système, quelque artifice, mais ce serait compter sans un talent exigeant qui est précisément de ne sacrifier à aucune fabrication – mécanique, commandée – pour faire à sa façon unique, à sa main.

Qu’on ne craigne donc pas le salmigondis expérimental boursouflé de coquetteries de qui voudrait faire écrivain en prenant le parti d’une originalité forcée, excentrique – la bizarrerie pour la bizarrerie. L’écriture de Frédérique Germanaud, au rythme magistralement maîtrisé, ne séparant jamais le son du sens, est également remarquable par ses ellipses et ses métaphores, élégantes, légères, délicates et inventives.

Encore, la littérature se reconnaît à ce qu’elle interroge plus qu’elle n’affirme, en ce qu’elle cherche plus qu’en ce qu’elle trouve. Ici, par exemple, la question du deuil, du faire-le-deuil : impossible ? Mais c’est d’abord sur la littérature elle-même, sur son pouvoir ou son impuissance, son innocuité, que la narratrice, écrivant “avec l’énergie des survivants”, s’interroge : “Croire éclaircir le mystère en posant des mots sur la page et ne faire que l’épaissir”. Mais: “je ne sais faire que ça”. Justification suffisante aux yeux du lecteur (comblé) que je suis.

À l’instar des meilleurs écrivains, Frédérique Germanaud s’intéresse davantage à l’exploration et à la formulation des sensations qu’à la narration qui, en littérature (me semble-t-il) ne peut valoir qu’en tant que prétexte (Jean de La Fontaine: “Et conter pour conter me semble peu d’affaire”). On se gardera donc, ici, de raconter l’histoire, ponctuée de trois “épigraphes”, trois adresses, à la deuxième personne du singulier, à “l’amant disparu”, sauf à dire que les pièces du puzzle se rassemblent à la fin du “roman”.

Car ce qui importe, c’est qu’après un “lundi noir”, la narratrice, rescapée “dans une ville mutilée”, un monde post-apocalyptique, écrive “contre la rage et la douleur”, “dans l’ombre de la mort”. Ce que d’autres, Maurice Blanchot en tête, appellent “l’écriture du désastre”, telle, encore, l’auteure de théâtre Noëlle Renaude, “œil tourné nativement vers le désastre”, ce désastre singulièrement humain “qui me fait aimer l’homme”, “cette gloire de la catastrophe”: ce n’est pas le Le Clézio du Déluge qui démentirait, ni Beckett, auteur de Catastrophe et d’une œuvre entièrement catastrophée.

Avec toutes ces qualités, déjà présentes et repérées dans ses précédents livres, Frédérique Germanaud s’est engagée dans une entreprise littéraire qui échappe à toute démagogie, cette démagogie si courte par laquelle nombre d’écrivains en vue aujourd’hui cherchent à flatter le lecteur, le client. Frédérique Germanaud écrit avec une exigence d’artiste, sans concession, ni visée séductrice.

Enfin, tout simplement, ceci que j’allais oublier de dire: ce livre est, dans tous les sens du mot, intelligent. Est-ce si courant ?

Courir à l’aube, par Frédérique Germanaud, Éditions La clé à molette, collection “Hodeïdah!”, 130 pp., 14 €, ISBN 979-10-91189-12-5.