Une activité respectable, le nouveau récit de Julia Kerninon, plonge dans les sources de sa propre écriture. Autobiographique, ce livre est aussi un manifeste pur et dur pour la littérature comme choix de vie, comme sens à la vie. Lecture d’Amandine Glevarec.
Tout doux le début d’Une activité respectable, le troisième livre de l’écrivaine nantaise Julia Kerninon : le souvenir tendre et très respectueux des parents, de la vie de famille, des livres partout et de la mère qui pousse, fermement, à écrire, à apprendre, à travailler. Première-née, Julia Kerninon, sur ses épaules le poids du rêve familial, vivre de peu, consacrer sa vie à la littérature, étayer le tout par de solides études, puisqu’il le faut, puisqu’il faut bien vivre. Le père qui organise et gère, moins passionné, plus timide sans doute, plus prudent, celui qui donnera pourtant à sa fille l’autorisation de partir, à Budapest, connaître le silence et la solitude, de celle que l’on peut consacrer à sa passion dévorante.
Lire et écrire. Les rencontres aussi, poètes un peu maudits qui fréquentent des usines à gâteaux réhabilitées en lieu culturel. Paris aussi, faire partie de la bande, s’en sentir honorée, être un peu la mascotte, la petite jeune, l’enfant douée, fille et fierté des poètes qui déclament et qui parfois se détournent pour prendre leur dose, rencontrer le Poète, avec sa majuscule, qui se moque puis s’excuse, ou encourage, d’un baiser silencieux.
S’expatrier, faire un trou dans sa vie et dans ses études, goûter à l’isolement, choisi et voulu, écrire deux livres à 20 ans. En publier un quelques années après, tout quitter pour un homme, même les douces rives du fleuve bleu, s’embarquer et le regretter, souffrir et fuir, repartir ou rentrer, chez soi ou ailleurs.
Et recommencer. Apprendre le travail, le difficile, celui qui colle à la peau et développe les muscles, le sucre des cocktails qui scintille sur les bras, j’ai adoré cette image. Avec le fruit du labeur s’offrir des pauses, pas de la détente non, du travail encore, mais un autre, celui qui compte, celui qui donne du sens à la vie. Penser à maman, faire comme elle nous l’a appris, remettre son ouvrage sur le métier, tisser ses histoires. Je connais le résultat, au moins un, Buvard (le premier roman de Julia Kerninon), que j’avais adoré.
Les souvenirs d’enfance, d’adolescence et d’adulte deviennent autre chose, dans les toutes dernières pages ce n’est plus son histoire, sa tendresse pour les siens, ni l’expression des épreuves subies, des faux départs et des vraies arrivées, c’est autre chose. Un manifeste pur et dur pour la littérature comme choix de vie, comme sens à la vie. Celui que nous cherchions quand nous avions quinze ans et qu’on se disait, vaincus d’avance, à quoi bon. Julia n’a pas eu à chercher, ses parents le lui ont offert, ou imposé, ou elle se l’est construit, ou elle a été élue par qui par quoi, ce n’est pas la question, mais cette puissance, cette affirmation de soi, au-delà des brimades, des inquiétudes, des doutes, de la douleur, des nuits passées à travailler sans savoir si la vie lui donnera raison, la lucidité que rien n’est acquis, que tout peut s’arrêter là, mais qu’importe. Incroyable. Se choisit-on une passion ou la subit-on parfois, la question ne se pose pas, on avance sans s’en poser, et advienne que pourra.
Julia Kerninon, Une activité respectable, Éditions du Rouergue, 60 p., 9,80€, ISBN : 9782812612039.