Davodeau et les Mauges, le "cher pays de notre enfance"

Publié le 17/11/2015 par Gérard Lambert-Ullmann

Ses bandes dessinées ont sorti Les Mauges et les Coteaux du Layon d’une réputation strictement régionale.

Avec environ 85 000 exemplaires vendus pour Les mauvaises gens et environ 180 000 exemplaires pour Les ignorants, auxquels s’ajoutent une dizaine de traductions en langue étrangère, Étienne Davodeau, l’enfant du pays, peut se flatter d’avoir donné à ce qui aurait pu sembler de l’Histoire “locale” une portée bien plus large et même une dimension universelle.

De fait, Les mauvaises gens, cette histoire en bande dessinée de luttes syndicales naissantes dans les usines rurales des Mauges, où le patronat avait pu penser être confronté à peu de rébellion, est surtout un témoignage d’une grande humanité sur les “gens de peu” quand ils s’efforcent de construire leur quotidien dignement. Rural!, la bande dessinée qui l’avait précédée est un reportage de même nature qui, tout en décrivant dans le détail le quotidien d’une coopérative agricole, expose le combat de gens simples dont le rouleau compresseur de la “modernité” (sous la forme d’une autoroute) vient bouleverser l’existence. Et Les ignorants, explorant avec brio le travail d’un vigneron des Coteaux du Layon, ouvre à tout un public les portes complexes de cette rude activité dont ils ne connaissaient souvent que le résultat en bouteille.


C’est que, pour Étienne Davodeau, le point de vue d’où on parle est déterminant. Pour bien se connaître il faut savoir ce qui nous a conditionné. L’endroit et les gens avec lesquels on a grandi façonnent l’adulte que l’on est devenu. Et ce dont on parle est éclairé par cette histoire. Plus qu’un attachement à la région de son enfance c’est pour lui de légitimité qu’il s’agit. Il ne parle pas à la légère. C’est ce qui fait la force de ses bandes dessinées qui sont autant de documentaires, riches de détails où la fiction n’a aucune part.


Il est pourtant aussi auteur d’œuvres de fiction, dont Lulu, femme nue qui a fait l’objet d’une adaptation au cinéma, très fidèle au récit dont elle s’est inspirée. Mais celles-ci sont toujours très clairement situées dans des lieux soigneusement explorés (le littoral vendéen dans le cas de Lulu, femme nue).

Et ce qui le caractérise et l’a fait connaître c’est cette démarche de documentariste qui construit ses œuvres les plus connues. Là, la bande dessinée prend des allures de reportage où le récit suit le fil d’une enquête et où celui qui la mène ne s’interdit pas de montrer les coulisses de son travail, ses doutes, ses hésitations, ses jubilations. C’est d’ailleurs pour Étienne Davodeau un des avantages de la bande dessinée : permettre un travail documentaire avec une incomparable légèreté de moyens, et donc une inégalable liberté de propos.

 

Bien sûr, c’est au départ un choix un peu risqué. Il faut trouver les éditeurs qui le comprennent et veulent bien le soutenir. Mais, une fois la preuve faite que ce travail trouve une audience, et même une large audience, l’auteur peut user du pouvoir que fournit à peu de frais ce moyen de donner la parole à des gens qui ne l’auraient pas autrement. Étienne Davodeau tient beaucoup à cela : mettre en scène dans leur quotidien, dans leurs combats, des gens habituellement privés de parole, auxquels les faiseurs de “spectacles” ne s’intéressent pas. Et ça marche.

Car ses bandes dessinées ont séduit non seulement les amateurs du genre mais aussi bien d’autres qui ordinairement ne lisent pas de bandes dessinées. Ceux là lui ont dit leur plaisir de le découvrir. Et nourrissent son sentiment de faire œuvre utile.


Car Étienne Davodeau ne fait pas de bande dessinée pour rigoler (même s’il avoue une passion toujours vivace pour Gaston Lagaffe). Sans viser à être un pédagogue, il souhaite que ses livres servent aux lecteurs à apprendre quelque chose et à tirer des enseignements du fait que ce dont il parle est réel. C’est particulièrement le cas pour son dernier livre Cher pays de notre enfance qui expose, après deux ans d’enquête avec Benoît Collombat, les zones d’ombre peu reluisantes de la cinquième république.

En dévoilant ce qui est “dans l’ADN” du système de gouvernement qui est encore le nôtre, Étienne Davodeau rend service à l’intelligence de notre passé récent, qui pourra, comme toute connaissance historique qui n’est pas trafiquée, servir à mieux avancer dans le présent. On pourrait se croire loin des Mauges. Pas tant que ça. Étienne Davodeau fait remarquer que la période visitée par cette bande dessinée est la même que celle évoquée dans Les mauvaises gens. On est toujours dans le Cher pays de notre enfance.

(D’après un entretien avec Étienne Davodeau)