Le 2 novembre 2023, dans le cadre du festival Les Utopiales et au sein du festival Lire en Circuit-Court, Mobilis a organisé un après-midi pour questionner la fiction, son impact sur le monde et les sujets écologiques qui le traversent.
Toujours dans la continuité de la mission "écologie du livre et de la lecture", l’idée de ce temps fort est de repositionner les auteur.ices et les maisons d'édition dans leur réflexion commune et écologique. Cette journée va de pair avec la sortie de la nouvelle brochure établie par la Charte des auteur.ices et illustrateur.ices jeunesse, "Mes livres mettent-ils la planète en danger?"
Comment les auteur.ices, avec leur éditeur.ices peuvent allier le contenu et le contenant écologique d'un livre ? Allier l'objet livre avec son essence même de passeur d'idées et/ou d'imaginaires?
L'idée de ce billet est d'en faire une restitution.
L'après-midi s'est articulé en trois temps.
Premier temps de dialogue :
Sandrine Roudault (modératrice) des éditions de La Mer Salée, autrice et perspectiviste, Louise Browaeys, autrice de La Reverdie, éd. La mer salée, Myriam Dahman, autrice et co-rédactrice du guide écologique de la Charte des Auteur.ices
L'idée a été ici de réunir trois intervenantes qui travaillent autour de l'écologie et avec le livre.
Le livre a aujourd’hui des impacts environnementaux et sociaux. D'un point de vue environnemental, si on regarde demain et les ressources nécessaires pour continuer de le fabriquer : eau, forêt… de nombreuses questions émergent quant à sa conception. Toutefois, le livre a dans son contenu un défi démocratique et informationnel non négligeable.
Selon Myriam, pour un certain nombre d’auteurices, la question de l'écologie du livre n’est pas une question évidente et notamment lorsque ces dernier.ères débutent leur carrière d'écrivain.ne. Parce qu'écrire un livre, ce n’est pas seulement faire une œuvre immatérielle de pure esprit, c’est aussi s’inscrire dans une industrie d'où résulte un produit manufacturé. Même si le livre ne demeure pas le secteur le plus polluant (8% de la production papetière est destinée à l'édition), ce dernier ne doit pas pour autant ignorer les différentes transitions qui le traversent.
Outre la question de la production manufacturée, un autre va de pair avec cette industrie, celle du pilon qui représente aujourd'hui 13% de la production de livre.
Comme le dit Myriam ; « En tant qu’auteur.ice, on fait partie de ce système même si on est pas responsable de tout, on n’a pas la responsabilité absolue sur nos épaules. Pour autant, on est un maillon de cette grande chaîne du livre et on est tout à fait légitime à se poser ces questions ».
Pour La Mer Salée, la question écologique se pose à tous les niveaux ; la fabrication, le non-pilonnage des ouvrages, la culture du fonds avant la frénésie de la nouveauté.
Pour Louise, autrice de "La Reverdie" (Ed. La Mer Salée), la question d'allier le fond et la forme du livre de l'ouvrage a été une évidence et s'est posée avant même son écriture.
« La solution est peut-être d’être dans des structures locales éditoriales pour faire converger écologiquement le contenu et le contenant »
De manière plus globale, cette interrogation du choix éditorial donne corps à une remise en cause de la concentration éditoriale.
Sur le contenant des livres : « Comment peut-on, dans son travail d'auteur.ice se saisir de ces enjeux? Comment peut-on influencer sa maison d'édition ? »
Selon Louise, l'écologie est souvent vue comme des contraintes mais elle peut largement être vue comme un éventail d'opportunités.
La perception du.de la lecteur.ice sur le livre est ici centrale (cette interrogation peut rejoindre tous les métiers du livre et de la lecture). En effet, certains apparats de la création d'un livre sont plus polluants que d'autres. Et, dans une logique de livres marchands, « Comment peut-on faire accepter l'imperfection d'un point de vue marketing ? »
C'est toutes ces questions dont a choisi de se saisir la Charte des auteur.ices jeunesse. Ce guide est parti d'un appel à contribution, de mise en commun de questions collectives que chaque auteur.ice est amené.e à se poser seul.e. Douze gros questionnements ont alors jailli, avec l'idée d'ouvrir la porte et de détricoter les idées reçues et de recenser les bonnes pratiques.
Toutes ces questions amènent à requestionner le sens du métier d'auteur.ice et de se sentir moins seul.es.
Selon Sandrine « poser les questions, ça fait sortir du bois les personnes qui se posaient déjà les questions mais qui n’osaient peut-être pas »
Comme vaguement évoquées précédemment, d'autres interrogations inhérentes à la publication même d'ouvrages émergent : Quels livres sont utiles ? et de ce fait, quelle pollution est utile ? Quel marketing est utile ?
Sur le contenu des livres : « Comment est-ce que l’écologie est présente sans prendre le pas sur ce qui fait un bon livre ? »
Selon Myriam, la question est à la fois « complexe et intéressante » mais « il n’y a pas de livres sans propos, à partir du moment où on prend la plume, on fait passer des messages ». « La création littéraire participe à la création de l’inconscient collectif » et sur la question de l’écologie, les heurts sont les mêmes que sur les questions racistes ou sexistes.
Comment faire passer les messages ? La fiction, le conte, la relation au vivant, l'humour sont souvent de bons vecteurs. « On peut construire des utopies lucides avec des héro.ïnes qui donnent envie de se bouger »
Selon Louise, l'écologie et la littérature sont deux sujets passionnants qui s'ignorent mais « les deux sont des sciences des liens : vivant.es et les liens des vivant.es au paysage ». La littérature c’est aussi donner de la voix et forme à ce qui n’en a pas encore : « inventer des récits alternatifs ». « Les arts sont les mieux placés pour nous aider à métaboliser cette situation écologique » (Bruno Latour)
Questions du public :
- Comment mieux informer les lecteur.ices ? Mobilis travaille, en co-construction avec l'Association pour l'écologie du livre à l'élaboration d'un outil pédagogique pour favoriser l'interconnaissance de l'écosystème du livre et tous ses enjeux écologiques.
- Comment éviter dans la fiction de donner des leçons tout en relayant des messages ? Comment placer le curseur au bon endroit ?
Selon Louise, « La littérature est un monde de la nuance, de la complexité » mais où il est nécessaire de « mettre en scène des personnages qui pensent différemment de ce qu’on est ».
« Dans un roman, il y a des messages, des émotions et un changement de regard qui donne forme à ce qui n’a pas de forme ».
Deuxième temps : Définir les fictions du monde d’après
par Sandrine Roudaut, perspectiviste, autrice et éditrice de La Mer Salée
Les fictions du monde d'après démarrent dans la maison d'édition où elles naissent, d'où la nécessité d'avoir conscience de la concentration éditoriale.
« Le monde d’après, c’est déjà d’apporter un autre récit, ce sont des fictions qui changent le regard du.de la lecteur.ice, c’est l’idée d’apporter un autre récit aux normes convenues ». « Tout livre est politique : le comportement des personnages, liens de domination entre certains personnages ? »
« Tout livre a un impact : (deux choix sont alors possibles) contribuer au récit dominant ou essayer de montrer d’autres récits possibles, on a besoin de voir qu’un monde décroissant où l’on a du temps est chouette, et que tout ça va plutôt dans un cercle vertueux. »
Aujourd'hui, il y a un « manque de fictions sur ces sujets et ces manières de voir le monde ». Il existe une réelle responsabilité éditoriale sur l’état dans lequel on laisse le.la lecteur.ice : « un livre n’est jamais neutre », soit il nourrit la tristesse, la sidération, la résignation ou il nourrit la joie, la détermination, le désir pour autre chose. « On est alors plus disponible à l’inattendue, à garder la possibilité pour les personnes de contribuer à un autre scénario. »
« Est-ce que je vais nourrir "l’empuissantement" des personnes, la désobéissance et le sentiment de se sentir légitime là dedans ? Ou est-ce que je suis plutôt en train de nourrir la résignation ? »
« La fiction d’après est aussi la question des normes, des personnages dans toute leur multiplicité, qui demande une certaine gymnastique et qui va à l’encontre de la norme dominante. »
« Le propos est toujours radical dans le fond mais dans la forme, il est plus édulcoré afin d’atteindre tous les milieux avec des livres qui relient les gens et qui nous permettent de faire société. »
Pourquoi croit-on au livre ?
Les livres participent à une transformation profonde de chacun.e, la lecture est intime, on est tout.e seul.e pour cet « exercice ». On est en pleine présence, dans ce temps suspendu qui nous laisse traverser les émotions des personnages.
« C’est une influence qui rend sage, on est un ensemble de personnages complexes, chacun.e se saisit du petit bout qu’iel veut. »
Troisième temps : Constituer un fonds autour des nouvelles fictions et de l’écologie en librairie et bibliothèque
en partenariat avec la librairie Les Bien aimé.e.s
- Coline Pierré - « Eloge des fins heureuses », ed. Daronnes (Essai)
- Ariel Kyrou - « Dans les imaginaires du futur », ed. ActuSF (Essai)
- Douna Loup - « Les printemps sauvages », ed. Zoe (Roman)
- Auður Ava Ólafsdóttir - « Eden », ed. Zulma (Roman)
- Julia Kerninon - « Sauvage », ed. L’iconoclaste (Roman)
- Hadrien Klent - « Paresse pour tous » & « La vie est à nous », ed. Le Tripode (Roman)
- Les aggloméré.es - « Subtil Béton », ed. L’Atalante (Roman)
- Adrien Tardif, « Ponsamaro », autoédition (Thriller)
- Becky Chambers - « Un psaume pour les recyclés sauvages » & « Une prière pour les cimes timides », ed. L’Atalante (Science-Fiction)
- Zoé Sauvage- « Les fées scientifiques », ed. Cambourakis (Bande-dessinée)
- Chloé Wary - « La saison des roses » & « Rosigny Zoo », ed. FLBLB (Bande-dessinée)
- Coline Pierré - « En couple », ed. Talents Hauts (Roman Ado)
- Philippe Nessmann et Camille Nicolazzi - « Il y avait une maison », ed. La Cabane Bleue (Album jeunesse)
- Sandra Le Guen et Popy Matigot - « Révolte », ed. Maison Eliza (Album jeunesse)
-Louise Broaweys - « La Reverdie », ed. La Mer Salée (Roman)
- « Les Utopiennes », ed. La Mer Salée (Recueil de nouvelles)