La retenue, de Lucie Taïeb

Publié le 29/10/2015 par Antoinette Bois de Chesne
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Un recueil de cette jeune auteure, paru chez Lanskine en mars 2015

Suivant la logique impulsée par le titre, La retenue, ce recueil de poésie se décline en trois parties qui évoquent les mathématiques : "1 – plus un/ 2 – 17 secondes/3 – soustraire". Trois états du temps du désir. Le premier porté par une saison, août, et l’ivresse concrète et symbolique du goût d’un homme, le second contenu dans la fulgurance des 17 secondes d’embrasement pour une autre, le troisième interroge la trace du monde et de soi à travers l’écriture et la mort, ultime soustraction à l’œuvre.


Le tempo de l’écriture de Lucie Taïeb provoque une sensation de scansion, mieux, de saccades, entre fièvre et inquiétude, quête tenace, comment et par où être vivante avec l’un, avec l’une, entre ajouter, retenir et soustraire ? Un flux de langue dont s’absente la ponctuation et où le point, par exception, induit un arrêt visuel sans que la majuscule vienne le souligner. Une langue où, rarement, affleure l’allemand ou encore des initiales mystérieuses : “f.w. sous le papier peint d’un chambre romaine —” qui intrigue longuement avant de soudain entendre le nom qui s’y tient : Francesca Woodman et son travail photographique autour de l’effacement.


Le titre ne cesse de résonner autour de ces pages, déplaçant le mesurable vers la polysémie qu’il laisse sourdre au long du livre. La retenue, celle qui l’est, tenue par l’obscur et la trace, par une nuque et un creux, par le corps des mots :

“ce ne sont pas les mots qui sortent de mon corpsc’est mon corps entier qui sort de ma bouche”

La chair aussi, surtout, ainsi retenue, à laquelle s’agripper ou de laquelle s’extraire, chair du corps dans ses états oscillatoires, sa tension absolue ou sa dilatation jusqu’a sa dissolution : “j’effeuille ainsi mon moi comme une marguerite et réduis son centre en miettes jaune (…)”.


Mais “retenue” aussi comme l’est cette écriture, un mord dans la bouche qui cisaille et halète les mots, une tête chercheuse et obstinée, incandescente et économe.

Lucie Taïeb, La retenue, éditions Lanskine, 2015, 69 pp., 12 €, ISBN : 979-10-90491-21-2