Juan Fortuna, de Jean-Philippe Rossignol

Publié le 15/09/2015 par Guénaël Boutouillet
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Un deuxième roman électrique, signé du nouveau responsable du pôle littérature du grand R.

« Le tremblement de terre porte un nom. Juan Fortuna. Un mètre quatre-vingt, séduisant, des yeux qui ne dorment jamais. Juan est mon frère. »

Ainsi commence ce court et lumineux roman, par un tremblement de terre – c’est-à-dire, littéralement, une fissure, une large et brutale entaille faite dans le récit des choses. La brisure en question, on le comprend assez vite, est double − et double est aussi le mystère qui va avec : il s’agit autant, pour le narrateur en quête de son frère disparu, de dessiner le mystère Juan que de tenter d’expliquer sa disparition.

Le portrait qu’il en dresse, celui d’un Juan attirant la lumière (comme celle-ci attire les insectes), d’un Juan éclairant la nuit de Buenos Aires jusqu’à s’attirer les pires ennuis, ne cesse d’épaissir cet enveloppant mystère – accentué par l’effet d’une syntaxe minutieusement articulée, jouant avec malice d’arabesques et de lignes brisées.

« Qu’est-ce qu’une vie hachurée ? C’est prendre le train, le bus, le taxi et entendre la conversation des passagers, les interférences, les phrases-lambeaux, les lapsus. »

C’est ainsi, en hachures, à belle allure, pied au plancher, volant tenu main droite, main gauche posée à la fenêtre, que nous sera narrée cette Vie, celle d’un Juan séducteur, brûlant, toujours aux limites, apparaissant sans cesse pour disparaître aussitôt. Un feu-follet, danseur de la noirceur. Du mystère Juan, la disparition nous apparaît bientôt comme la manifestation la plus tangible, la substance même. Juan Fortuna, vu par les yeux du frère, se fait incarnation de l'idée de la fuite. (De la fugue, de la fiction).

C‘est comme l’inverse d’un polar : une sculpture faite de pièces manquantes, un trou où se pencher, pour voir surgir des lumières neuves.

Jean-Philippe Rossignol (par ailleurs nouveau responsable de la Maison Gueffier, à La Roche-sur-Yon), après un inaugural Vie électrique (chez NRF-Gallimard) il y a quelques années, transforme la promesse avec ce deuxième roman aussi électrique que poétique.

Juan Fortuna, de Jean-Philippe Rossignol, éditions Christian Bourgois, ISBN : 978-2-267-02749-5, avril 2015