Pour Clodine Bonnet, ce recueil de poèmes du chanteur Jean-Louis Bergère nous embarque “au cœur de ce qui fait Nous et les autres”
Commencer la lecture de masque et figure c'est, dès la première ligne, s'affranchir du code de la ponctuation et des majuscules associées, pour qui ne l'est pas. C'est inventer soi-même le rythme de la phrase, de ses mots collés-serrés dans l'encadrement de la page. Le souffle est là, dedans, à démasquer. C'est faire confiance au blanc de la marge. Large. C'est trouver sa propre respiration. Sa vérité. Et, pensant l'avoir trouvée, se trouver embarqué en poésie, au cœur de ce qui fait Nous et les autres, de ce qui fait le regard porté à l'autre et celui reçu, posé sur soi—“en y regardant de plus près à percer au travers comme par le trou de la serrure”.
Jean-Louis Bergère parle ici de nos intérieurs, parfois mal rangés, encombrés, et nous invite à fouiller creuser, voir ce qui traîne ici et là, en dedans, ce qui persiste au travers de la parenté, de nos amours, de nos jeux, de nos apparences: ce “petit quelque chose machin truc (…) tellement énervant parfois tellement touchant aussi on n'aurait pas imaginé quand même à travers nous”. L'auteur est homme de mots et de sons, chanteur musicien et cela se sent. L'air, le rythme, le vent, cela se dit, mais chez lui, la peau parle aussi. La peau qui dit malgré nous, la peau toute crue: “t'auras beau t'échiner devant la glace en mettre des tonnes et des tonnes crème de jour sérum concentré à la con ta peau c'est mort ta peau c'est de la soie vivante malade en pleine mue dévorée sous le soleil”. Une peau pour nous tous pareille, qui nous mène à la finitude, à cette conscience que Jean-Louis Bergère nous rappelle. Dans cette deuxième partie du livre-poésie, le temps nous aspire, “on frémit de peur de plaisir on se jette tout entier dans le vide c'est déjà demain”. Un vertige. “Une menace permanente divinement mortelle”, reconnue. Une vague et nous apprenons à respirer plus calme, malgré.
Au fil des pages, marée montante ou descendante, l'espace de la plage se donne différemment. Certaines ont beaucoup plus de blanc que d'autres. Très peu de mots dessus et c'est tant mieux car ça percute quand on trouve les mots pour soi. Il nous faut de l'espace pour rebondir sous les coups de la phrase clef de notre vérité, celle qu'on transporte avec nous, sous le masque. Celle qui rassure quand “on ravale la façade”.
Un petit livre pour tenir compagnie à nos peurs et les rassurer, pour les faire briller et les passer sur le masque, les placer sur la figure.
Jean-Louis Bergère, masque et figure, Éditions Potentille, 27 pp., 8 euros, ISBN 979-10-90224-13-1.