Exil/exit bérénice, de Michaël Glück

Publié le 19/11/2015 par Jacky Essirard
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“Et le monde ? Quel monde ? […] Ou ce naufrage…”.

À l’origine des tragédies de Racine et de Corneille et du recueil de Michaël Glück il y a l’histoire de Bérénice, fille de Agrippa, née en l'an 28 près de Jérusalem que l’empereur Titus emmena à Rome pour l’épouser. Malheureusement pour les amants, l’opposition des Romains le contraignit à renoncer au mariage et à la renvoyer chez elle (“malgré lui, malgré elle”).

Construit à partir de la séparation des deux amants, le recueil se divise en cinq mouvements chacun précédé de quelques phrases de l’auteur en guise de carte de lecture. Le premier évoque le retour de Bérénice. Le second est un monologue de la jeune femme face à son miroir. Le troisième est consacré au trio amoureux, Titus, Bérénice et Anthiocus, chacun exposant sa passion et ses tourments. Le quatrième mouvement est celui de la rumeur publique, des voix communes et interchangeables (un chœur). Le cinquième est une sorte de vision apocalyptique du monde et un appel à la vigilance.

On retrouve dans Exil/exit bérénice le goût de Michaël Glück pour l’histoire et le destin des hommes. La reine palestinienne, qui suit Titus et “s’intègre” (dirait-on aujourd’hui) à la société romaine qui l’accueille comme “butin de guerre” mais ne veut pas en faire sa souveraine, parle au nom des émigrés venus tenter leur chance en occident et qui n’ont plus d’attache dans leurs pays d’origine.

S’appuyant sur la tragédie de Racine, Michaël Glück donne la parole à Anthiocus, ami de Titus, amoureux platonique de Bérénice. Les hésitations de celui-ci ressemblent aux atermoiements d’une société compatissante incapable de concrétiser ses paroles en actes.

Michaël Glück construit son recueil d’une manière théâtrale. Chaque intervenant prend la parole à son tour pour donner son point de vue, y compris le poète narrateur qui intervient dans les scènes contemporaines. Par des allers-retours entre les trois périodes du récit — la prise de Jérusalem, la tragédie de Racine et les migrants d’aujourd’hui —, il brosse l’état de nos sociétés occidentales prisonnières de leur suffisance et de leur manque de générosité. Peut-être aussi de leur conception judéo-chrétienne de la vie au cours de laquelle il faut savoir souffrir. 

Mais il s’agit de poèmes et d’un travail de langue. Michaël Glück construit les textes en utilisant plusieurs formes. S’il souligne parfois son propos d’un alexandrin, il n’hésite pas à casser les mots, à user de la répétition, à revenir à la prose, au prosaïque, répétant comme un leitmotiv “je fus… je ne fus pas… je ne suis… je ne suis pas…”. 

Combien de guerres et de morts faut-il prévoir quand “on apprend à ne pas aimer”.  Et comment encore espérer en ce monde ?

“Et le monde ?

Quel monde ?

[…]

Ou ce naufrage…”.


Exil/exit bérénice, Michaël Glück, éditions Lanskine, 72 pp., 12€, 979-10-90491-22-9.


A noter : Michaël Gluck est en résidence cet automne 2015 dans les bibliothèques du Loir : http://www.villeveque.fr/sitemairie/3/michael-gluck-en-residence-poesie-dans-les-bibliotheques-du-loir/