Au cœur du Goncourt des Lycéens, à Pornic | L'arrivée des livres (2/5)

Publié le 11/12/2015 par Yann Daoulas
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Une première L du Lycée du Pays de Retz (Pornic) a participé cette année au Prix Goncourt des Lycéens. Comme ceux d'une cinquantaine de classes en France, ces lycéens ont reçu pour mission de lire l'ensemble de la sélection Goncourt et d'élire leurs trois livres préférés. Leur professeur de français raconte cette histoire de son point de vue, contrebalancé par celui de quelques élèves.

L'arrivée des livres


Quand les livres de la sélection Goncourt sont arrivés, j'ai pris conscience que je ne voyais jamais mes élèves lire un livre. Plus exactement : jamais je ne les ai regardés prendre un livre, l'ouvrir, et s'absenter pour un temps indéfini. Ce phénomène se passe loin de mes yeux ou, c'est bien triste, je l'interromps s'il se produit parce qu'il ne reste plus que vingt minutes avant la fin de l'heure, et qu'il faut faire ça et encore ça, et range donc ce livre que j'ai acheté pour toi à La vie devant soi, tu le liras à la maison. Ce jour-là, je passe d'un visage neutralisé à un autre, chacun figé dans une expression abandonnée du poids du paraître. Je suis presque gêné de les regarder, alors que, bon sang, je ne fais pas de la lecture un acte sacré, une cérémonie ouvrant sur d'autres mondes, je ne marche pas dans ce genre de mythologie, pas pour les élèves en tout cas.

 

Ils sont là, mais pas là, et moi je ne sers à rien. C'est jouissif.


Bien entendu, tous les élèves ne se font pas absorber par le papier. Plusieurs sont incapables de se concentrer : ils lisent et relisent la même page, espaçant leurs relectures de regards jeté dans le vide qui ne sont pas moins mystérieux que celui des ensorcelés, mais tournés vers l'intérieur. A ceux-là non plus je ne peux rien dire.


D'autres font ce dont parlent tous les étrangers qui décrivent notre rapport à la nourriture : ils respirent l'odeur du papier neuf, tripotent le parallélépipède en tous sens, goûtent trois phrases, puis en parlent avec leurs amis, recommencent, plaisantent, divaguent, chipotant à petits coups dans la première, la deuxième page. Avec ceux-là je blague, je ne vais tout de même pas les forcer à lire, n'est-ce pas ? Et je pars, pas plus utile dans ce rôle.


Quelques-uns, enfin, les plus inquiétants, ont posé le livre devant eux et gardent une distance de sécurité avec lui. J'aurais aimé pouvoir écrire : restent derrière une ligne de courtoisie imaginaire, mais ils sont réellement défiants vis-à-vis de la chose. C'est une lettre de la banque, après six mois de chômage ; un mot cacheté de la petite amie partie pour deux mois de vacances ; un cadeau d'anniversaire de la vieille tante férue de mystique orientale : un truc qui, tant qu'il reste fermé sur la table, peut encore être une bonne chose. Je voudrais leur dire :« N'aie pas peur, c'est juste de la littérature contemporaine, c'est beaucoup moins dangereux que ce qui est là-bas. » en leur désignant le rayon poésie. Ce serait utile, si le geste avait la moindre chance d'aboutir à autre chose qu'un moment de gêne partagée.


J'ai ainsi fait vaquer mes bras ballants d'une table à l'autre, néanmoins plein d'une certitude : ça y est, ça commence.

 


"Lorsque Mr Daoulas et Mme Giraud nous ont remis les livres j'étais désemparée. Je me suis dit "allez va vraiment falloir s'y mettre", lire quatorze livres en si peu de temps pour moi cela paraissait exceptionnel et surtout impossible ! Je me suis dit je vais en lire trois à peine. 

Les livres ne me donnaient pas forcément envie non plus, surtout lorsque je regardais certaines couvertures de livre et certains titres. Quand ils sont arrivés je m'y suis mis rapidement et j'en ai pris trois en même temps pour me dire que cela irait plus vite. Au fil du temps les livres m'ont paru de moins en moins durs et plus rapides à lire. Je ne vais pas dire que c'est un jeu d'enfant, au contraire c'est compliqué de lire autant de livre en si peu de temps. Personnellement mes amis m'ont avoué qu'ils ne pourraient pas et moi je leur ai dit c'est un défi que je vais relever. Ce que j'ai fait ! 

(Inès Bruneau)