Pour chaque euro de bénéfice généré par l’édition d’un roman en France, il existe un coût caché environnemental et social de 75 centimes, principalement à cause de la fabrication du papier. Tel est l'une des conclusions saillantes de l'étude intitulée "Un livre français : évolutions et impacts de l’édition en France", publiée à l'automne 2017 par BASIC (Bureau d'analyse sociétale pour une information citoyenne) avec le soutien de la Fondation Charles Léopold Mayer.
Voici les recommandations de l'étude (à télécharger dans son intégralité ci-dessous)
L’étude montre que dans sa configuration actuelle, la filière du livre génère des impacts importants sur les plans socioéconomique et environnemental dont les coûts sont pour partie à la charge de la société en France et à l’étranger.
Elle suggère également qu’au-delà des initiatives existantes en amont ou en aval de cette filière, il faut transformer plus fondamentalement son organisation et ses pratiques pour en assurer la pérennité. Pour ce faire, il semble nécessaire d’initier à court terme une dynamique collective afin de développer une « filière durable du livre » portée par des acteurs conscients des enjeux aux différents maillons de la chaîne de valeur : éditeurs, imprimeurs et libraires, mais aussi recycleurs, fabricants de papier et exploitants de forêts locales.
Un des points marquants de l’étude est l’ignorance, de la part des professionnels comme des citoyens, des impacts liés à la consommation de livres, en partie en raison de l’absence de traçabilité de la matière première.
1) Face à ce constat, une première étape consiste à sensibiliser les lecteurs et le secteur à la non durabilité des pratiques actuelles. La société civile peut développer un plaidoyer pour une édition plus durable, en s’appuyant sur la dé- nonciation des impacts liés à la production de papier, ou sur l’interpellation des éditeurs et des lecteurs sur certaines pratiques, comme le blanchiment du papier ou la gestion des livres en fin de vie par exemple. Certaines ONG comme Greenpeace et le WWF se sont engagées sur cette voie, mais il s’agit d’un travail de longue haleine. De plus, il faudrait idéalement, et comme sur d’autres sujets, que des porteparoles emblématiques émergent pour « incarner la cause ».
2) Un autre enjeu réside dans la réduction du taux de livres pilonné (1/4 environ) et du gaspillage correspondant. Sur ce sujet, c’est la logique économique de rotation et d’occupation de l’espace qu’il faudrait revoir. Les éditeurs et les distributeurs sont les premiers concernés, mais il est peu vraisemblable qu’ils remettent en question les pratiques actuelles tant que la sensibilisation sur ce sujet ne sera pas plus importante en France. Néanmoins, des alternatives existent et sont déjà expérimentées par certains imprimeurs et distributeurs français, à l’image de l’impression à la demande sur des presses numériques. En proposant un flux continu directement lié aux ventes sur des machines numériques qui ne requièrent aucun temps de calage, et avec un tarif de réimpression identique au tirage de départ (même en faible quantité), les imprimeurs et les distributeurs équipés peuvent proposer un système vertueux aux maisons d’édition.
3) L'étude montre également que même s’il ne suffira pas à lui seul à rendre la filière durable, le papier issu de fibres recyclées est clairement moins impactant que celui fabriqué à partir de fibres vierges. Il s’agit donc d’améliorer et de promouvoir la filière du recyclage français pour l’heure relativement peu efficace. Là aussi, le changement peut venir d’une volonté citoyenne, mais c’est surtout les pouvoirs publics et les collectivités locales qui pourraient l’initier :
- en harmonisant au niveau national les consignes de recyclage pour en améliorer la lisibilité ;
- en rendant économiquement plus intéressant le recyclage des ressources papiers (vs l’enfouissement ou l’incinération). Il existe déjà des systèmes de taxation dans ce sens dans les pays du nord de l’Europe (Belgique et Suède) ;
- en modernisant les centres de tri afin qu’il soit possible de récupérer les papiers et emballages réutilisables pour du papier impression-écriture.
4) Le livre « circulaire » étant jusqu’à nouvel ordre une utopie, il y aura toujours besoin de bois pour produire de la pâte à papier, du papier puis des livres. Pour redevenir soutenable, la filière du livre doit donc à tout prix se « déconnecter » de la filière mondialisée de la pâte à papier marchande, dont les impacts croissants la rapprochent des filières les plus décriées comme celles de l’huile de palme. Les éditeurs pourraient adopter des clauses environnementales et sociales dans leurs achats de papier (au-delà des labels existants).
Ceci permettrait de revaloriser la production de papier et de pâte à papier locale (moins de transport) – a fortiori si elle implique en amont des forêts gérées de façon durable, et de relancer par la même occasion une industrie papetière en difficulté. Ces critères sociaux et ou environnementaux pourraient également prendre la forme de taxes imposées par les pouvoirs publics selon le barème éco différencié déjà en place et être étendus à l’impression. In fine, cela permettrait aux éditeurs d’avoir un meilleur contrôle sur le papier qu’ils achètent tout en soutenant le tissu local industriel français.
5) Dans l’idéal, il faudrait que la demande sociale (citoyens et pouvoirs publics notamment) incite les acteurs du secteur à basculer progressivement sur des livres éco-concus. Il s’agirait notamment de :
- lever les freins liés au « papier grisé » et faire entrer peu à peu dans les mœurs l’utilisation du papier recyclé, d’aspect plus grisé mais avec des coûts sociaux et environnementaux diminués ;
- favoriser les papiers de grammage plus faible, moins consommateurs de ressources ;
- préférer les encres végétales aux encres minérales, et diminuer ainsi les boues de désencrage non valorisables aujourd’hui ;
- plus généralement, concevoir un livre plus facilement recyclable en fin de vie.
Ce basculement semble lui aussi lié à des campagnes de sensibilisation réussies sur le sujet.
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