MeMo : Christine Morault n’a pas froid aux mots (ni aux images)

Publié le 30/10/2018 par Patrice Lumeau
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Quand on entre dans ce grand atelier, on est happé par le silence du lieu, silence du labeur d’une maison d’édition haute qualité. En tant que co-fondatrice des éditions MeMo, Christine Morault insiste sur le terme atelier, au sens de fabrication à l’artisanale.

Ce savoir-faire est défendu par ces éditeurs nantais un peu hors normes. « MeMo, ce n’est pas juste des papiers, des méthodes d’impression, du temps passé, des compétences de photograveur ; c’est avant tout un ensemble de tout ça. C’est un atelier. » MeMo forme le lien entre la partie artistique en amont, et la partie commerciale en aval. MeMo existe « pour donner le maximum à des projets créatifs. »

Naissance, la passion pour l’image

En 1993, l’alliance de Yves Mestrallet (architecte de formation), et de Christine Morault (de formation artistique) ne donne pas seulement l’acronyme MeMo ; cette alliance livre un premier ouvrage, Les indiennes de traite à Nantes. Cette publication reproduit les motifs des tissus imprimés qui étaient destinés à la traite des esclaves. Mettre en valeur le fonds iconographique des musées, travailler avec les acteurs locaux (quand ces images ont une portée universelle), sera un des credo de MeMo. 

1993, un livre. Aujourd’hui, en 2018, la maison tourne à une trentaine de titres par an. Ce qui va d’abord caractériser MeMo, c’est un choix éditorial tourné vers des livres d’artistes, des plans, de la poésie et des illustrés d’hier et d’aujourd’hui. Cent comptines, de Pierre Roy sera le livre qui (par hasard ?) va les propulser dans l’univers jeunesse. Le livre à lui seul est une aventure éditoriale avec un soin tout particulier apporté à sa réalisation, du travail cousu main. Livre que Christine Morault qualifie à juste titre de « transgenre », puisqu’il lorgne à la fois du côté du surréalisme, art dit pour les grands, et du côté de l’enfance, la comptine. Il associe deux genres par une qualité esthétique qui sera la marque de fabrique de la maison.

Un gros et beau travail de réédition va être entamé ensuite, deux livres en sont les emblèmes : Quand la poésie jonglait avec l'image de Samuel Marchak et Vladimir Lebedev (en collaboration avec Les trois ourses), et Drôles de bêtes de André Hellé. La réédition ne nuit pas à la création. Cette part belle faite à la création contemporaine (désormais 80% de l’activité) a ses retombées en tous genres, du prix littéraire à la vente de droits, avec par exemple le livre d’Émilie Vast, Plantes vagabondes, dont les droits ont été revendus à cinq pays. D’ailleurs l'éditeur acheteur préfère parfois confier à MeMo la chose imprimée, reconnaissant le savoir-faire de l’éditeur nantais.

 

De l’importance de la couleur

Le choix de rééditer, ne se fait pas à l’emporte-pièce. Pour ressusciter l’ouvrage élu, un soin tout particulier est apporté à la restitution des couleurs telles qu’elles devaient être lors de la parution, donc, pour Quand la poésie jonglait avec l'image, au tournant des années 1920. Cette attention amène MeMo à faire des choix d’impression peu communs. L’ouvrage a été réalisé en tons directs, vingt passages (!) pour retrouver la teinte des lithographies d’origine.

À la différence du procédé offset qui nécessite quatre couleurs primaires pour retrouver la palette colorimétrique, le ton direct demande l’impression des couleurs une par une. Le choix de chaque couleur est déterminant, un peu comme en sérigraphie. La détermination des éditeurs les a parfois conduit jusqu’à la pesée de la couleur chez l’imprimeur. Il s’agissait de faire vivre des techniques d’impression. Ces gens, ces métiers ont peu à peu disparu, et MeMo a été contraint de composer avec l’offset, c’est à dire, faire ce que l’on faisait avec des presses typos, ou le façonnage à la main, d’une tout autre manière. L’usage de tons directs constitue un pont entre hier et aujourd’hui. « Notre travail sur la quadrichromie est artisanal. On est à la fois éditeur, la partie intellectuelle, et artisan de la couleur, avec notre recherche sur la qualité de la reproduction. »

Le prépresse est le cheval de bataille qu’a enfourché MeMo. Sans minorer le travail de l’imprimeur, tout ce qui se passe « avant » est primordial. Si, sur telle page, on voit clairement les zigzags d’une couture, c’est parce qu’un grand soin a été porté à la couleur, afin de restituer au mieux ce livre originellement en tissu. Alors que les photograveurs ont quasiment disparu, il y en a toujours un qui s’active chez MeMo. « Nous ne sommes pas dans le "vintage", nous sommes dans l’avant et le maintenant. Nous voulons mettre sur le même niveau aujourd’hui et hier, mais avant tout mettre en valeur le travail artistique, du moment qu’il s’inscrive dans une recherche de qualité novatrice. Ce qui nous intéresse ce sont les explorateurs de terres nouvelles. »

Moments de MeMotions 

Comment ne pas être fière du Prix Baobab (2006, salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, avec Le nez de Olivier Douzou) et du Grand prix de l’illustration de la foire de Bologne, (2012, avec La course de Eun-Young Cho) ? De ce parcours éditorial,Christine Morault retient ces deux distinctions classiques et une autre, atypique : avoir été choisie par la fondation Maurice Sendak pour rééditer le travail de l’artiste. L’œuvre de cet auteur américain (connu pour Max et les Maximonstres, Where the wild things are) est désormais confié aux soins de MeMo.

À ce palmarès vient s’ajouter un travail de « terrain », avec des acteurs tels que L’espace lecture de Malakoff, à Nantes, pour rendre le livre accessible. Accessible physiquement et intellectuellement. À Malakoff, quartier populaire de Nantes, la bibliothèque réceptionne, trie, et distribue aux écoles et associations les livres échappés au pilon. MeMo, plutôt que de détruire, donne. En 2016, les éditeurs accompagnent un travail d’écriture qui aboutit à la réalisation d’un livre avec les habitants du quartier.

La reconnaissance du chemin parcouru continue. Deux villes vont mettre MeMo à l’honneur : Nîmes, où le Carré d’art propose une installation, notamment autour de l’album L’oiseau sur la branche d’Anne Crausaz ; plus proche, une ville de Loire-Atlantique va consacrer Une année MeMorable aux éditeurs, avec diverses manifestations dans la ville tout au long de 2019.

MeMo ne se repose pas sur sa spécialité, le livre pour les tout-petits, avec son fer de lance la collection Les Tout-petits MeMômes. Les éditeurs s’aventurent sur de nouvelles terres. Ainsi Polynies, cette nouvelle collection fait entrer la maison sur le terrain du roman Jeunesse. La  collection, dirigée par Chloé Mary, démarre sous de bons auspices puisque son premier titre, Milly Vodović de Nastasia Rugani, a été distingué par une mention spéciale du prix Vendredi. 

S’ajoute au labeur une nouvelle activité en trois dimensions. Proposition est faite aux bibliothèques d’une immersion dans le livre avec des objets en relief. MeMo autour d’une histoire, d’un livre, fabrique des panneaux de bois, bref une exposition en volume pour permettre aux enfants d’entrer dans le livre par des chemins de traverse. On retrouve l’esprit artisanal propre aux éditeurs, puisque la fabrication en volume est entièrement maison.

On ne peut pas quitter Christine Morault sans évoquer ses récents coups de cœurs : Mon bison de Gaya Wisniewski, et une révélation : Les coiffeurs des étoiles de Jeanne Macaigne, un univers flower power réactualisé. « Je n’aime que les chose sincères, et non pas les faiseurs. Soit des choses très épurées, très graphiques, soit des univers très foutraques avec des histoires, des fictions de qualité, fortes ». L’esprit de MeMo est là : la recherche d’un imaginaire fort, images et mots à l’appui, des sujets sensibles (exemple ce conte avec des chaises vides, métaphore de deuil), des thèmes qui parlent de tout et à tous.