Rencontre avec Hubert Ben Kemoun, auteur de littérature jeunesse.
L’entretien avec Hubert Ben Kemoun s’installe dans la librairie café Les Bien-Aimés, rue de la Paix à Nantes. D’emblée, nous sommes dans un parler vrai, pétillant et imagé.
Ce qui frappe d’abord chez cet auteur largement reconnu, avec plus de 180 ouvrages à son actif, certains vendus à plusieurs cen-taines de mille, c’est… l’attachement qu’il porte au territoire de l’enfance, de l’adolescence. Il parle avec chaleur de ce « no man’s land de tous les possibles, désert et peuplé », de ce riche espace de vie traversé par des transformations de tous ordres.
Et c’est donc aux jeunes lecteurs que s’adressent ses livres, certains pour les 3-4 ans, d’autres pour les 16-17 ans, ou plus ! Tous évitent le nombrilisme et racontent une histoire, une aventure qui a changé le personnage. Hubert Ben Kemoun dit adorer faire peur, faire pleurer. Il veille toutefois à ce que la dernière page soit positive, ouverte, en « pente montante », car les auteurs ont la responsabilité, dit-il, de toujours susciter l’espoir chez de jeunes lecteurs déjà confrontés aux difficultés et aux noirceurs de notre temps. Alors qu’il juge son écriture pas toujours riche, il revendique une réelle efficacité.
Auteur à ses débuts de pièces radiophoniques, il en a gardé le sens du dialogue, sans « gras », pour mieux faire avancer l’his-toire, pour vite attraper l’auditeur ou le lecteur, et le garder. Il souhaite raconter le monde tel qu’il est, donner à ses lecteurs l’impression qu’il parle d’eux, de leur vie, et il sait la difficulté de trouver de « vraies idées » et d’écrire « juste » pour les tout-petits quand on n’est pas illustrateur.
Lorsqu’on l’interroge sur la « cuisine » de l’écriture, Hubert Ben Kemoun dit écrire deux à trois heures chaque jour, peu importe l’endroit, à la main, par besoin du côté tactile. La version tapuscrite est ensuite copieusement raturée, à plusieurs reprises, avant la remise au propre pour l’éditeur. Une histoire peut « reposer » deux à trois semaines, voire plus, et permet ainsi de passer à autre chose, de faire alterner par exemple un roman adolescent avec un album pour les plus jeunes.
Le déni de considération de l’auteur jeunesse
Si on évoque avec Hubert Ben Kemoun son statut social et économique, il dit vivre maintenant de ses droits d’auteur depuis plusieurs années. Il regrette vivement, cependant, l’écart entre ceux accordés à un auteur de littérature adulte et ceux servis à un auteur de littérature jeunesse. Là où le premier reçoit 10 % du prix hors taxes du livre, même en début de carrière, le second doit se contenter de 3 à 8 % tout en étant, comme Hubert Ben Kemoun, un auteur jeunesse reconnu, écrivant depuis maintenant vingt-six ans ! Il y a là un vrai déni de considération, alors même que c’est l’édition jeunesse qui tire les ventes en librairie et dans les nombreux salons qui lui sont consacrés. On peut certes profiter des gains procurés par les animations ou les interventions en médiathèque ou en établissement scolaire, mais pour Hubert Ben Kemoun ils ne sauraient dépasser 25 % de ses revenus car il considère que son « métier premier est auteur ».
La disparition de l’Agessa et le flou artistique qui entoure le nouveau dispositif de cotisation et de couverture sociale engendrent des soucis inédits. Les liens avec d’autres auteurs jeunesse créent une communauté d’amis, mais la dimension militante est absente des rencontres lors des nombreux salons, quand bien même on échange des informations. Le « partage » des œuvres est aussi très inégal. Hubert Ben Kemoun lit beaucoup « les autres » et n’hésite pas à les recommander. Est-ce réciproque ? Au total, il y a pour l’auteur l’impression d’être peu connu, peu médiatique, mais il ne s’en plaint pas car il a aussi le sentiment heureux de jouer un rôle essentiel auprès de beaucoup d’enfants, d’« être au début de leur route » pour certains. Ainsi cette ado déclarant à l’auteur, lors d’un déplacement aux antipodes : « J’ai commencé à lire avec vos livres. » C’est bien là l’illustration de la « place d’autorité » de l’auteur, et la confirmation qu’il n’est pas hors du monde, de la société.
Un auteur d’ici
Lorsqu’on aborde l’ancrage d’Hubert Ben Kemoun dans la région, il exprime avec lyrisme sa « tendresse incroyable » pour Nantes et l’endroit où il vit. Il rappelle qu’il a, un certain temps, conçu des jeux-questionnaires sur la ville pour la presse locale et qu’il connaît ainsi fort bien la cité. Il est heureux d’y avoir ses amis et ajoute que, résolument urbain, il « a besoin des villes » car c’est là que vivent les gens ; encore faut-il qu’elles soient, comme dans presque tous ses livres, ouvertes à l’eau : mer, fleuve, rivière, comme un « courant qui passe ». Par-delà la ville de Nantes, la région des Pays de la Loire lui paraît, tout comme la Bretagne, s’être dotée d’« outils magnifiques » de lecture publique avec ses médiathèques et bibliothèques, faire preuve d’un fort dynamisme et d’une vraie foi dans le livre, ce qui n’est pas le cas d’autres régions, comme celle de Provence-Alpes-Côte d’Azur, par exemple. Il apprécie particulièrement le travail réalisé par l’association Mobilis et la reconnaissance qu’elle lui témoigne. Il se réjouit de voir ses livres également présents dans les librairies des grandes surfaces, au contact d’un large public populaire car, et ce sera son mot de la fin, « on écrit des livres pour que les gens les lisent, pas pour soigner son ego ! »
Être auteur en 2019
À l’heure où une réforme majeure touche le statut des auteurs et des artistes, nous ne pouvions pas manquer d’aller à la…
Lire la suite