🚨 Culture en Crise 🚨

La bibliothèque entre dans la danse (et vice versa)

Publié le 13/12/2019 par Patrice Lumeau
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Rencontre avec Brigitte Davy, fondatrice de la Hanoumat Compagnie, installée à Angers.

Brigitte Davy est fine observatrice. En tant qu’usagère des bibliothèques, elle avait noté, dans ces espaces principalement dédiés au silence, les postures si particulières, l’intimité et la proximité des corps. Les mouvements des gens, le flux des usa-gers, relevaient déjà pour elle de la chorégraphie. Brigitte Davy, fondatrice de la Hanoumat Compagnie, s’est donc vue tout naturellement intervenir dans les bibliothèques, non pas pour y injecter du mouvement car il y est déjà, « le langage des corps est très présent en bibliothèque », mais pour cho-régraphier le mouvement. Injecter la danse. Elle voulait aller plus loin, c’est-à-dire faire entrer la danse dans les bibliothèques en créant du lien entre le livre et le mouvement, entre la littérature et la danse. Basée à Angers, la compagnie Hanoumat invite donc à une déambulation dans les biblio-thèques, déambulation aux pas des deux danseurs : Brigitte Davy et Christophe Traineau.

Intervenir en médiathèque ne se limite pas à un simple spectacle. Brigitte Davy parle d’une déam-bulation qui emmène en douceur le spectateur dans un espace connu, mais qu’il découvre sous un autre angle. Pour mener à bien ce travail, Hanou-mat prend en compte la médiathèque dans son ensemble. Brigitte Davy ne se cantonne pas à l’espace seul, mais à tout ce qu’il contient. D’évidence, on se frotte aux volumes des pièces, mais aussi aux volumes sur les étagères, au mobilier, au rayonnage, aux chariots, également aux coins et recoins. Le livre n’est pas oublié. La danseuse le regarde dans son entité. Le livre objet ? Avec sa tenue en main, son papier, sa couleur, son odeur, tout ce qui fait sa matérialité interpelle l’artiste. Rassurez-vous, l’es-sence du livre, porteur de mots et d’idées, n’est pas en reste pour autant.

La médiathèque est donc fouillée de fond en comble, en lui reconnaissant à la fois sa fonction initiale et son entité d’espace vivant. Le langage corporel qui s’y exprime, la danse permet de le pousser à l’excès. Alors la redécouverte d’un environnement commun peut commencer. La danseuse insiste, elle cherche à amener le public à cette vision en le faisant participer d’une manière très douce, sans le forcer. Au contraire elle le prend par la main, avec délicatesse, en respectant son intimité. Au fur et à mesure que la redécouverte prend sens, le visiteur et le lieu s’apprivoisent.

Presque sans s’en rendre compte, au cours de cette balade, des spectateurs se retrouvent côte à côte, séparés par l’épaisseur d’une feuille blanche, leitmotiv de cette performance dansée. Ce symbole fort s’inscrit dans le spectacle comme des pointillés à suivre. Cette feuille blanche, les danseurs la font vivre jusqu’à l’épanouissement d’un livre. De multiples trouvailles vont don-ner à lire la page blanche de manière très poétique : tantôt pas japonais constituant un dédale où il faut poser le pied juste à propos, tantôt glissée dans un rayon ou réceptacle, quand une source lumineuse projette des mots dans l’espace, Brigitte Davy, comme avec une épuisette, capture les mots volatiles.

Le spectacle vivant permet de réanimer ces fils invisibles qui tissent l’univers du livre. Le projet artistique a été conçu pour « créer du lien entre l’auteur, le lecteur et les bibliothécaires », Brigitte Davy insiste. Hanoumat métamorphose ce lieu- ressource pour en redessiner les traits, pas forcément ceux les plus saillants. Dans une forme de respect mutuel de la lecture, les usagers œuvrent au vivre ensemble. La marche collective, au pas des deux danseurs qui mènent le bal, met en lumière cette évidence : la médiathèque concourt à la rencontre, comme une extension à son rôle de diffusion et de médiation. La déambulation, Brigitte Davy la construit comme une métaphore du vivre ensemble. L’image évoque le joueur de flûte qui entraîne les gens à sa suite avec une attention qui, loin d’être funeste, conduit les usagers à se découvrir dans leur manière d’arpenter le monde des livres.

Danse avec le livre

Pour parvenir à mettre en présence le langage corporel et la lec-ture, les chemins sont variés. À chaque intervention, Hanoumat éprouve la nécessité de s’adapter au lieu et aux médiateurs. Les bibliothécaires lisent des textes autour de l’acte d’écrire. L’auteur, le lecteur, le médiateur, la feuille, les uns fonctionnent avec les autres. Ils ne peuvent pas exister l’un sans l’autre. L’unicité du livre est mise en avant, découvrant une communauté vivante.

À travers un mouvement d’ensemble, chacun va trouver sa place. Au départ du spectacle, le couple de danseurs part à la recherche d’un livre via sa cote. Mais bien vite les cotes et les codes sont bousculés. Les danseurs ont leur manière bien à eux de chercher. Ils se permettent des libertés que le simple usager n’oserait pas rêver. Avec les tables et les chaises les deux danseurs s’amusent. Ils grimpent, glissent, ils escaladent. Le mobilier devient un terrain de jeu. Le corps des spectateurs entre discrète-ment en mouvement. De petits mouvements en petits jeux, cha-cun entre dans la danse. Jusqu’au moment où le spectateur valse avec une page blanche. Le bal des feuilles est ouvert.

Littéralement, Hanoumat crée une phrase chorégraphique. Chaque page blanche est désormais marquée d’un mot. Bout à bout, ces pages forment une phrase constituée de mouvements simples. La réunion des mots, des mouvements, des spectateurs, des médiateurs, des danseurs, réussit le pari d’une communion autour du livre.

Les spectateurs sont à la fois dans l’exploration et dans l’élaboration du mouvement.

Au final les feuilles sont réunies pour constituer un livre. Puis il est donné lecture de témoignages autour du livre, avant de laisser le public s’interroger à propos de : ce que je lis ? pourquoi je lis ? comment je lis ? La déambulation s’achève, chacun reçoit un livre d’enfant pour un dernier temps de lecture.

La performance a un double objectif : Brigitte Davy parle de la prise de conscience du corps et de son langage. La circulation de tout un chacun, le « être là », amène à la présence au corps, induisant une interaction entre les individus. Hanoumat développe cette conscience pour qu’elle aboutisse à une interconnexion. Dans un lieu où la parole est tolérée, la danse conduit à libérer la parole, créant un souffle d’air qui fait tourbillonner les pages. Le tempo se joue en plusieurs temps, de l’intimité au public, de la retenue à l’expression du mouvement.

Et pour ouvrir le paysage, libérer ce labyrinthe de livres, Hanoumat use de la danse, mais pas seulement. D’autres sortilèges sont convoqués : l’image et le son. Brigitte Davy s’empare d’un micro pour dire et relire nos usages. Le froissement d’un coude sur une table peut prendre des proportions inattendues jusqu’à se convertir en rythme. Ces petits bruits du petit monde de la médiathèque sont auscultés avec un rare talent d’écoute. La poésie sonore distillée ainsi revisite nos habitudes. Un autre objectif fixé par Brigitte Davy est atteint : « Voir le lieu autrement. »

La compagnie de danse, souvent conviée autour d’événements spécifiques (nouveau mobilier, anniversaire, réaménagement…), n’a pas nécessairement besoin de ces prétextes pour se donner. Quatre heures de préparation en amont suffisent à mettre en place le spectacle. Toute médiathèque peut à tout moment s’octroyer un moment collectif de rêve. D’ailleurs la danseuse projette de réaliser en solo des impromptus, des extraits de ce spectacle. Quand Brigitte Davy déclare : « J’aime la proximité des gens », on la croit sans peine. Avec Hanoumat elle fait entrer les gens dans le livre, à la mesure d’un mouvement qui donne encore plus de sens au lire  ensemble.

Compagnie Hanoumat à Angers (49) :
administration@hanoumat.com
brigitte.davy@hanoumat.com
www.hanoumat.com

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