🚨 Culture en Crise 🚨

Bérengère Orieux. Horizons lointains

Publié le 14/03/2017 par Laetitia Cavinato
Catégorie

Ici Même est une maison tout à fait singulière dans le paysage éditorial nantais et régional. Bien que basée à Nantes depuis sa création en 2013, elle se consacre presque exclusivement à la bande dessinée étrangère.

Bérengère Orieux, fondatrice et directrice d’Ici Même, avait déjà une longue carrière dans l’édition avant de se lancer le défi d’une maison indépendante. Elle a notamment passé plus de dix ans au sein de Vertige Graphic, éditeur de bandes dessinées à fortes valeurs sociales et politiques qui met en également en avant une recherche graphique prononcée. 

Bérengère Orieux a conservé ces valeurs de grande exigence artistique, que l’on retrouve dans l’ensemble du catalogue. Elle recherche constamment des auteurs avec un trait et un monde intérieur à la fois brillants et singuliers, et ne se donne aucune limite géographique dans cette quête, bien au contraire ! Un seul auteur français – Guillaume Long, connu entre autres pour son À boire et à manger paru chez Gallimard – fait partie de son écurie, l’ensemble des autres artistes formant une belle mosaïque d’origines et de sensibilités qui font la richesse de la maison d’édition. Par exemple, le roman graphique nord-américain, qui peine souvent à trouver sa place outre-Atlantique quand il n’est pas dérivé du genre comics, est bien représenté et défendu au sein du catalogue.

Ici Même met à l’honneur aussi bien des adaptations que des créations originales, au gré des rencontres et des coups de cœur de Bérengère Orieux, véritable globe-trotter qui n’hésite pas à écumer les salons internationaux pour dénicher la perle rare. Ni à céder à son goût pour les bédéastes italiens novateurs ! Ainsi, le second semestre 2016 a vu, entre autres, la parution de More fun de Paolo Bacilieri, le deuxième tome du Fun déjà publié chez Ici Même, et de Dans la chambre du cœur se cache un éléphant, de Marco Galli.

Équilibre et perspectives

En tant que chef d’entreprise, Bérengère a la responsabilité de concilier les objectifs artistiques avec la réalité économique : dans l’univers très concurrentiel de l’édition, une maison aussi petite que la sienne vit sous la pression constante de la rentabilité, et chaque titre est une prise de risque pour l’équilibre fragile d’Ici Même. Celui qui serait trop en-deçà des objectifs de ventes peut tout faire basculer. Néanmoins, Bérengère réussit à faire vivre Ici Même depuis sa création, et, sa réputation de qualité et d’exigence grandissant dans le monde du livre et des médias, peut raisonnablement espérer la faire prospérer à moyen terme… En s’armant de patience et de toujours autant de travail ! 

La maison s’appuie essentiellement sur deux personnes, Bérengère Orieux, bien sûr, ainsi que sa correctrice et bras droit Solène Bouton. L’éditrice assure en personne l’essentiel de la promotion des ouvrages, et c’est aussi pour cette raison que, pour le moment, le catalogue est limité à cinq à six titres par an. La clé de la réussite pour Ici Même réside en effet dans sa capacité à assurer un accompagnement sur-mesure et exclusif à chaque bande dessinée au moment de sa parution. 

Les enjeux de la traduction

Avec un catalogue presque exclusivement international, il va de soi que la traduction est un volet majeur du travail éditorial, que Bérengère assure souvent elle-même quand la langue d’origine est l’anglais. Pour les autres langues, elle a noué des collaborations fructueuses avec des traducteurs professionnels, qui lui sont aussi fidèles que les auteurs qu’elle édite, à commencer par Silvina Pratt, traductrice des œuvres de son illustre père, et qui assure le même travail pour les artistes italiens et espagnols chez Ici Même.

Une adaptation approximative pouvant compromettre l’avenir d’un livre, le plus grand soin est apporté à la collaboration avec les traducteurs. Les échanges entre ces derniers et l’équipe d’Ici Même sont constants au fil du processus, afin de parvenir au meilleur équilibre possible entre le respect du texte original comme de la langue française. Il en va de même pour les différences culturelles, dont certaines sont transposables telles quelles, et d’autres absolument pas. Par exemple, dans le cas précis d’une langue comme l’allemand, qui a assimilé de nombreux anglicismes, tout l’art consiste à savoir doser savamment les termes (par exemple « It girl ») qui peuvent rester en anglais dans la version française et ceux qui, bien que pouvant être compris par le public francophone, devront être traduits, afin de respecter nos usages linguistiques. Au risque de s’éloigner un peu du ton de l’œuvre originale. Tout cela implique de se poser beaucoup de questions, à toutes les étapes, afin de trouver le meilleur compromis ! 

La contrainte majeure est, cependant, vraiment spécifique au média bande dessinée : l’essentiel du texte est contenu dans les bulles de dialogue, et il faut parvenir à un résultat qui prenne en compte l’espace disponible et le confort de lecture. Le traducteur doit absolument tenir compte de cette particularité et intégrer pleinement le fait que, si la qualité intrinsèque du texte est primordiale, sa destination finale est de s’intégrer dans un univers graphique qu’il ne doit pas dénaturer. 

En définitive, ce sont bel et bien la conviction de sa fondatrice et le soin apporté aux détails qui signent l’identité d’Ici Même, et lui permettront de s’installer définitivement dans le paysage des éditeurs de bande dessinée singuliers et porteurs de valeurs fortes.