Anne Crausaz. Les mots et les images.

Publié le 04/11/2016 par Gérard Lambert-Ullmann
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Anne Crausaz est auteure de livres que les libraires classent dans le rayon « enfants » mais dont bien des adultes s’émerveillent. 

Les animaux et plantes de ses livres donnent envie de les caresser. Une grande paix s’en dégage. Son prochain livre « Bonjour les animaux » paraîtra le 21 octobre aux éditions MeMo. A cette occasion, nous l’avons questionnée sur son travail dont nous aimons beaucoup la beauté délicate.

Gérard Lambert-Ullmann : La nature est au cœur de votre travail. Elle est abordée avec une grande tendresse et un amour évident. Pouvez vous nous dire pourquoi elle prend une si grande et si belle place dans votre œuvre ?

Anne Crausaz : Je suis née à Lausanne, mais la nature, même en ville était très présente. À côté de la maison, il y avait une forêt avec une sorcière qui y habitait et des pierres magiques... mais aussi les amis, les musées et les activités à portée de main. Puis à l’âge de 10 ans, mes parents ont déménagé dans une vallée reculée des Cévennes pour tenter d’y vivre. Ils ont acheté des chèvres, des poules, des lapins, des cochons et se sont lancés dans l’agriculture biologique. Cette nature omniprésente a été mon quotidien jusqu’à la fin du collège : je l’ai aimée pendant l’enfance malgré l’ennui et la solitude parfois, puis je l’ai détestée à l’adolescence.

J’ai ensuite découvert Nîmes, puis Paris. C’est à Paris que j’ai pris conscience du manque: pas de nature à l’état sauvage à proximité... pas de montagne ni rivière... C’est en me lançant dans la littérature jeunesse que je me suis rendue compte de l’importance qu’avait la nature dans ma vie, et qu’elle était ma première source d’inspiration ! Du coup, en effet je la traite avec tendresse, comme une vieille amie ! Dessiner la nature est aussi un vrai bonheur : l’observer, la simplifier pour la rendre lisible... je ne m’en lasse pas...

G. L.-U. Vous n’êtes pas une simple illustratrice mais un véritable auteur concevant vos livres de façon globale, avec une grande unité entre le texte et l’image. On a pu parler à propos de vos livres d’une « véritable dramaturgie ». Votre éditrice, elle, parle d’une « caméra subjective » et vous présentez vos livres comme de « petits courts métrages ». Pouvez- vous préciser ce choix ?

A. C. J’ai travaillé longtemps au service de divers clients dans la culture en tant que graphiste. J’ai quelquefois été frustrée de ne pas être libre et je ne voulais pas « retomber » dans ce même schéma en illustrant uniquement des textes d’auteurs figés. Au début, j’étais inquiète d’écrire des mots car j’ai toujours eu des difficultés en syntaxe à l’école. J’ai donc commencé par dessiner des histoires muettes, rajoutant ensuite prudemment un mot, puis deux... Puis je me suis amusée à manipuler les phrases, les retournant dans tous les sens. C’est ainsi que j’ai découvert le plaisir d’écrire, même si je ne me lancerais pas dans un roman.

Écrire et illustrer en parallèle me permet de garder ce mouvement qui m’est précieux, les mots et les images étant en perpétuelle évolution jusqu’à la production du livre. Cette façon de travailler dans la globalité est mon moteur, car chaque nouveau livre est une énergie énorme à déployer, un éternel recommencement avec toujours cette impression que le prochain livre sera impossible à finir ! Il m’arrive bien sûr de répondre à des commandes, et c’est plus facile, mais cela m’ennuie aussi un peu...

Comparer mes livres à des petits courts métrages me plaît beaucoup ! À la base, je le fais intuitivement depuis longtemps. À l’école cantonale d’art de Lausanne, la plupart de mes projets finissaient souvent sous la forme d’un livre. Je me souviens d’un projet en photo qui était construit comme si une caméra jouait entre plans larges et plans plus serrés, lumière tamisée et lumière forte, comme des arrêts sur images. Mes projets sont en effet souvent imaginés dans ma tête en mouvement, et sont ensuite posés sur papier comme pour un story board, à la différence que les doubles-pages sont évidement moins nombreuses. Cette caméra subjective s‘arrête sur des images clés qui permettent de comprendre l’histoire et de lui donner un rythme. C’est peut-être pour cela qu’on peut parler de dramaturgie ? Avec des sujets aussi universels que les cycles de vie, de saisons, de l’eau, il faut bien qu’il y ait de petites aventures !!!

G. L.-U. Votre graphisme est d’une grande douceur. Le recours à la technique y est totalement invisible et laisse place à un charme total. Comment arrivez-vous à une telle harmonie avec l’outil informatique ? 

A. C. Je travaille avec un logiciel de dessin vectoriel qui s’appelle Illustrator. Cet outil me donne une très grande liberté de création car rien n’est figé: je peux déplacer, agrandir, changer la couleur, déformer... un grand terrain de jeu, et encore une histoire de mouvement ! J’utilise ce logiciel au quotidien depuis plus de quinze ans et il est devenu mon fidèle compagnon ! Je ne réfléchis plus quand je l’utilise et cela laisse la place au dessin pur, qui peut ainsi être assez élaboré dans les détails.

On me dit souvent que le recours à la technique ne se voit pas... je dirais que le choix du papier est très important car il boit l’encre et donne ainsi quelques imperfections bienvenues aux aplats. Je travaille aussi énormément les détails pour éviter les courbes peu tendues ou cassées... en fait, comme quand je dessine à la main ! Mais je ne cherche pas à cacher qu’il s’agit d’un dessin numérique, je cherche juste à faire de belles images, avec la même exigence qu’à la main.