Le quotidien des bâtisseurs de l’évidence

Publié le 13/12/2019 par Guénaël Boutouillet

Rencontre avec Yann Chaineau, bibliothécaire intercommunal à Craon (Mayenne), responsable d'un réseau en zone rurale

Quand Yann Chaineau explique, sans effets de manche, ce qui se passe à la médiathèque de Craon et, depuis elle, vers l’alentour (les 18 bibliothèques des 37 communes du réseau, animées par 6 agents et 187 bénévoles), il vient à l’interlocuteur, en même temps qu’un renversement de perspective (non, la campagne n’est pas un grand vide culturel, loin de là), l’envie de tailler la route pour profiter de cette richesse de propositions. Le livre en est le noyau, dans une diversité n’excluant pas la littérature (il répond à nos questions la veille d’une rencontre avec Denis Michelis, auteur en résidence lavalloise chez Lecture en tête) ; un noyau auquel est reliée une constellation d’actions : des ateliers d’écriture aux tournois de jeux vidéo, des expositions, des concerts, des accueils de classes en nombre…

« Juste une évidence »

Toute énumération risquant d’être fastidieuse ou vaniteuse, posons avec lui la question du sens : « Je crois que c’est d’abord l’image que nous renvoyons à nos habitants qui importe, incluant bien sûr ceux qui ne nous fréquentent pas. Entre légitimité et reconnaissance, ce qui m’intéresse, donc, c’est que ce réseau soit juste une évidence dans le paysage pour ce territoire. » Cette construction de l’évidence est un travail de longue haleine et quotidien, impliquant une connaissance de terrain (lui-même est originaire des lieux, où il est revenu en 2009 après avoir longtemps œuvré ailleurs). « Je savais que le territoire de Renazé avait ces racines ouvrières des mines d’ardoise, et que nos autres communes étaient liées à l’agriculture (certaines, assez grandes au niveau cadastral, ont autant d’habitants dans les fermes que dans le bourg). »

Travailler pour et avec

Ces bibliothèques, travaillant pour une population, travaillent nécessairement avec. Le maillage d’un tel territoire implique l’emploi de bénévoles en nombre (pas loin de 200), qui sont bien plus qu’une main-d’œuvre supplétive : le relais essentiel de l’action et de sa communication. « L’amplitude d’ouverture de chaque site dépend de l’implication des bénévoles. » Un aspect crucial de la vie rurale est l’importance des distances et, corollaire, de la mobilité. Les livres et animations, pour être rendus accessibles, se déplacent sans cesse : « Nos deux bibliothèques les plus éloignées sont à quarante kilomètres de distance, Craon étant au centre, à vingt kilomètres maximum de chaque bibliothèque. Nous organisons une tournée hebdomadaire (en plusieurs tronçons) en fonction des animations ou du programme de la semaine. »

Relier et incarner

« Le moyen d’aller vers les gens, c’est d’abord notre catalogue en ligne. De chez lui, le lecteur peut réserver un ouvrage et, via nos tour-nées, nous l’amenons à sa bibliothèque la plus proche. On peut aussi rendre ses livres dans n’importe quelle bibliothèque du réseau. » Ces outils n’agiraient pas sans incarnation ni accompagnement : à l’instar des bénévoles qui requièrent une attention de chaque instant, un accompagnement, des propositions de formation, le numérique (qu’il s’agisse du catalogue en ligne ou des nombreuses liseuses en prêt) ne produirait jamais rien seul, sans animation ni médiation.

A-t-il des doutes ? « Pas vraiment, car je crois que les bibliothécaires ont su, depuis des années, démontrer leur faculté d’adaptation au monde et à ses pratiques. »

Cet article est lié à