Ce qui réunit les lecteurs ? En plus du plaisir complice d’échanger, l’amour du livre réunit autour d’un savoir lire.
Si chaque groupe de lecteurs se forme pour défendre ses lectures, ses idées et à l’occasion les transmettre, ils prennent des formes diverses, de la petite structure informelle jusqu’à l’académie.
Le 7 février dernier, tour de Bretagne à Nantes, une centaine de personnes sont au rendez-vous. Après plus de vingt ans d’exercice, la séance du café littéraire est rondement menée. Huit personnes sur l’estrade présentent leur lecture à l’assemblée. Dans l’année, l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire fixe quatre rendez-vous. À chaque session s’ajoute une sélection des livres de l’Ouest. Ce jour, on y retrouve, À la ligne de Joseph Ponthus. L’ouvrage a été présenté à la télé la veille, mais c'est une coïncidence, car l’Académie ne cherche pas à coller à l’actualité médiatique du livre. Pour la chancelière Noëlle Ménard, « la littérature est malade de trop de parutions ». Faire cercle est un moyen de lutter, de montrer qu’il existe d’autres choix de lecture, tout en veillant à l’ancrage régional. Le public, auréolé de cheveux blanc, compte essentiellement des femmes, qui pour certaines font partie d’autres cercles.
Occasionnellement lectrice pour l’Académie, Stéphanie Hanet, n’en est pas à son premier cercle. En tant que chargée des animations de la librairie Coiffard, elle y dirige le club de lecture. Né il y a trois ans, ce club est intiment lié au prix des lecteurs de la librairie nantaise. Pour y entrer, il faut s’en remettre au sort. Sur la soixantaine de candidatures reçues la première année, quinze ont été tirées au hasard. L’assemblée est renouvelée par tiers, tous les ans. Ces clients « chouchous » sont sans conteste dans une quête d’évasion via la littérature. Le plus : pouvoir rencontrer l’auteur du livre lu, confortant ou infirmant l'avis du lecteur.
Basés aussi sur la rencontre avec l’écrivain, mais pour un cercle plus large, les Bouillons, fêtent à Angers leurs dix ans. Ces rendez-vous, créés en association avec Le dire et l’écrire, sont activement soutenus par la librairie Contact et la Sadel. Catherine Malard, qui est l’instigatrice de ces rencontres, conduit l’interview suivie d'un échange avec la salle composée d'une cinquantaine d'auditeurs ; là aussi, pour une large part, ce sont des femmes retraitées.
Depuis deux ans, en partenariat avec la bibliothèque municipale d'Angers et Le Quai, les Bouillons ont trouvé un nouveau souffle. Les dix rendez-vous annuels sont souvent ponctués d’un moment convivial, (apéritif, buffet...) car pour Catherine Malard « le livre se pose aussi comme une médiation de la rencontre ».
Outre les clubs de lecture liés à un prix littéraire, les médiathèques perpétuent depuis longtemps la tradition du café littéraire. À Nantes, la bibliothèque municipale propose des rencontres conviviales comme le Café-blabla qui s’organise à la pause déjeuner, une fois par mois. Manon Borot, qui anime le café, précise elle aussi que l’actualité du livre n’est pas forcément de mise. L’intérêt réside dans « l’échange informel qui permet de rebondir d’une lecture à l’autre ». Le Café bla-bla est un exemple des divers cercles qui traversent le réseau des médiathèques.
La passion de la littérature, socle de ces cercles, peut se croiser avec « une volonté persistante d’éducation populaire ». C’est en ces termes que Alain Schoelinck présente La bibliothèque du CLAJ (Club Loisirs Actions Jeunesse). Si le comité de lecture se réunit tous les mois, La bibliothèque du CLAJ a une tendance « irrégulomadaire » à se retrouver. À peu près tous les deux mois, on vient discuter, brasser les idées du moment, également s’imprégner de savoir. Bertrand, qui fait partie du comité de lecture, privilégie une sélection « en lien avec une perception sensuelle du monde », tel ce récit de travail d’un charpentier La vie solide de Arthur Lochmann. Le CLAJ milite pour « offrir une culture accessible et populaire », en réaction au lien social qui disparaît. Le collectif, un noyau de dix personnes (du maçon au journaliste), fait une présentation des livres, auprès d’une trentaine d’auditeurs en moyenne. Certains lisent très peu, dixit Alain, mais ils viennent tendre l’oreille, s’approprier les outils de compréhension du monde. La soirée bibliothèque ne se limite pas aux livres, l’échange d’idées se poursuit en partageant mets et vins.
Dans cette mouvance de s’amuser en se cultivant, les Délivreurs se réunissent au café. Chacun vient avec son livre. Ce cercle d’un autre genre fonctionne depuis quatre ans. Pour Nadine, la fondatrice, et Marie-Hélène qui l’a rejointe, l’avantage est de faire se rencontrer les gens et les genres. « Jamais, jamais, je n’aurais touché à la SF ! » Pourtant un soir, Marie-Hélène Soyer est repartie avec un roman de SF et elle avoue avoir fait depuis de belles découvertes. La « délivrance » a lieu Chez mon oncle, un café nantais convivial en diable tenu par Pierre, co-créateur des Délivreurs. L’association de lecteurs qui n’a pas besoin de statut officiel possède l’éthique du don. Le principe est simple, on se retrouve Chez Mon oncle et on donne, son avis et son livre bien-aimé. Le délivreur ayant délivré repart alors avec un nouveau livre. Comme quoi, hors du recyclage, le livre a bien parfois droit à une seconde vie. Mais la structure informelle peine à s’agrandir et de l’avis de ses participants, le frein majeur serait le don...
Notons enfin une méthode de lecture collective qui désacralise le livre pour mieux se l’approprier... en le découpant. Littéralement ! L’arpentage s’inscrit aussi dans un mouvement d’éducation populaire. Une fois le livre découpé, chaque partie est distribuée à un groupe pour être lue, puis restituée à l’assemblée. Alice Mounissamy, l'une des animatrices de L’Arpentage à l’université populaire de Nantes, précise que « ce regard collectif et critique apporte une réelle profondeur de lecture ». Nul doute qu’ainsi « désossé », le livre offre une partie de son âme. Cette pratique propose un moyen de « s’entraider dans la lecture ». Expérience et savoir entrent en confrontation. À l’université populaire, cette lecture originale rencontre un engouement croissant. Les places limitées pour un arpentage (en général une quinzaine) sont réservées en moins de deux jours. « Chaque expérience est unique », ajoute Alice Mounissamy, car l’arpentage offre la parole à des personnes qui, parfois, n’en disposent pas.
Le café littéraire se fonde donc sur un échange où la convivialité est convoquée. Académie, librairie, café, chacun à sa manière s’empare de la littérature. L’objectif commun reste le partage de la culture et sa diffusion. À l’heure des réseaux virtuels, ces cercles de lecteurs sont de précieux témoins du livre vivant