Le peuple de Nantes a enfin son histoire

Publié le 21/06/2018 par Jean-Luc Jaunet

Retracer l’histoire du peuple de Nantes est une entreprise de grande ampleur et de grande difficultĂ© ! 

Et on comprend qu’elle ait requis les efforts conjugués de quatre excellents spécialistes du passé et du présent de la ville : trois historiens et un journaliste.

Un des premiers écueils, signalés d’emblée dans le livre, porte sur la définition du mot « peuple », sur la manière d’envisager cette catégorie sociale, la plus nombreuse et pourtant la moins «présente ». Car, et c’est un autre obstacle, on n’entend que peu la voix des classes populaires. Elle est longtemps absente et il faut, pour appréhender la vie des couches les moins favorisées, en passer par les écrits des élites. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que les choses changent en ce domaine et que le peuple nantais donne enfin de la voix.

On sait grĂ© aux auteurs d’avoir su dĂ©passer ces Ă©pineuses questions conceptuelles et mĂ©thodologiques et d’avoir rĂ©ussi Ă  brosser, - une première dans le domaine de la recherche et de l’édition -, une telle fresque historique du peuple nantais. Ce faisant, ils nous donnent beaucoup Ă  voir la ville elle-mĂŞme, sa gĂ©ographie humaine, ses transformations. Et on est souvent surpris, Ă  la lecture, de dĂ©couvrir combien notre prĂ©sent est tissĂ© de ces fils du passĂ©, combien ces derniers donnent Ă  la citĂ© que nous connaissons aujourd’hui une Ă©paisseur humaine, jusque-lĂ  nĂ©gligĂ©e.   

Il est ainsi troublant, voire Ă©mouvant, de retrouver les toute premières traces de prĂ©sence humaine sur le site dans des endroits que nous ne soupçonnions pas, comme cette hache en pierre polie dans le ruisseau de la Colinière ! Et, sautant les siècles, comment imaginer que la ville florissante que nous connaissons comptait en permanence, Ă  la fin du XVe siècle, 1000 Ă  1600 mendiants sur une population de 25 000 habitants.  Au XVIIIe siècle, ce nombre explose et on passe, entre 1700 et 1780, de 40 000 Ă  80 000 habitants, avec le dĂ©veloppement de la traite nĂ©grière et des activitĂ©s manufacturières liĂ©es aux commerces maritimes. Mais Nantes sait aussi se montrer moins affairiste et tĂ©moigner de ses qualitĂ©s d’accueil comme le montre celui rĂ©servĂ© aux Acadiens, en attente d’un retour vers la Louisiane, en 1785, après la guerre d’AmĂ©rique. 

Il est aussi tout Ă  fait intĂ©ressant de voir comment Ă©volue la « forme » de la ville au fil du temps.  Ainsi, en 1908, avec l’annexion de Doulon et de Chantenay, elle intègre dĂ©sormais une importante masse d’ouvriers et d’employĂ©s. Elle voit aussi l’apparition, sur l’Erdre, des « bateaux Ă  laver » et la concentration des blanchisseuses dans « leur » quartier Babin. 

Un peu auparavant, c’est le dĂ©but de la notoriĂ©tĂ© de la biscuiterie LU, alors qu’elle n’était encore qu’une pâtisserie de 100 m2 rue Boileau jusqu’en 1885. Mais il faut aussi Ă©voquer les sordides « cours » des quartiers populaires, ceux du Marchix, de la Madeleine, ceux en bordure du quai de la Fosse et, dans les premières dĂ©cennies du XXe siècle, le progrès des nouveaux lotissements près des boulevards de ceinture ; puis, en 1927, le commencement des travaux de comblement d’un bras de la Loire et de l’Erdre. Nantes, ville industrielle, est encore dans les annĂ©es 20 liĂ©e Ă  « sa » campagne avec, deux fois par mois, les traversĂ©es de troupeaux s’acheminant vers la foire aux bestiaux de la place Viarme. 

Viendra ensuite le temps des grands ensembles, de 1956 aux années 70, avec la création de ceux des Dervallières, de Bellevue, du Pin Sec, puis du Breil, de Port-Boyer et la Halvêque.

On ne peut manquer d’évoquer aussi les activitĂ©s des chantiers navals aujourd’hui disparus, la dĂ©molition en 1958 du pont-transbordeur qui y menait, les grandes grèves de 1955 qui valurent Ă  Nantes l’appellation de « capitale des grèves » et, en 1986, devant une foule attristĂ©e, le lancement du dernier navire fabriquĂ© sur place. 

Il y aurait encore beaucoup Ă  retenir dans cet ouvrage d’une grande richesse, mais on doit souligner, pour terminer, l’effort de vulgarisation rĂ©alisĂ© par les auteurs. Pas d’appareil critique avec notes en bas de page qui, trop souvent, dĂ©couragent la lecture ; pas de bibliographie savante mais, Ă  l’inverse, en fin de volume, une chronologie copieuse, heureusement intitulĂ©e « le temps du peuple », comme pour mieux dĂ©signer le public auquel l’ouvrage se veut en prioritĂ© destinĂ©.                                    


Histoire populaire de Nantes, Alain Croix, Thierry Guidet, Gwenaël Guillaume, Didier Guyvarc’h, PUR, 2017, 479 pp., 15€, 978-2-7535-5923-3