Il y a à Saint Nazaire, nichée au milieu des géants des mers, une bibliothèque particulièrement active.
Pas question d’y accéder librement, le passage est bien gardé. Dans ce port industrieux, il faut montrer patte blanche, ou alors être salarié de l’entreprise Man Diesel.
La bibliothèque de Man Diesel est dirigée par le CE et sa bibliothécaire, Fabienne Joanny, mise à disposition par le CCP.
Décryptons : le CE est le comité d’entreprise, en l’occurrence ici celui de Man Diesel qui « produit des moteurs destinés aux applications marines. »
Le CCP, Centre de Culture Populaire, est une association nazairienne réunissant différents comités d’entreprise. Sa mission est de diffuser la culture dans le monde du travail.
Fabienne Joanny règne sur ces lieux de quelques 110 m2 depuis quinze ans. La bibliothèque, créée en 1987, dispose d’un fonds similaire par sa diversité à celui d'une bibliothèque municipale : 25 000 documents dont 3 500 CD.
La commission Culture bibliothèque du CE manifeste une forte volonté d’être visible des salariés. D’ailleurs, Fabienne Joanny n’a pas, selon l’expression populaire, les deux pieds dans le même sabot. Armée d’un chariot de livres, chaque mardi, elle s’en va une demi-heure durant, au moment du changement d’équipes, conquérir de nouveaux lecteurs aux quatre coins de l’entreprise. Cette bibliothèque sur roulettes attire à chaque fois une dizaine de personnes. La sélection livresque se fait en fonction de l’actualité, du profil des lecteurs potentiels et des demandes spécifiques.
Tout est mis en œuvre pour faire vivre le livre et attirer le lecteur. En plus des rencontres entre lecteurs et avec des auteurs, diverses animations sont également programmée par cette bibliothèque d’entreprise.
La fête de la musique est prétexte à une animation autour du flamenco. Les beaux jours et le littoral voisin sont l’occasion d’une sortie-découverte des algues. Un lien avec le livre toujours existe. Actuellement la bibliothèque est colorée de maillots du Tour de France dédicacés. S’y juxtapose un espace dédié au joli mois de mai 68. Le tout est ouvragé de livres de référence. À noter, un atelier « aquarelle » bimensuel, animé par un retraité de Man, car les compétences de tous sont sollicitées dans un esprit de partage.
La bibliothèque se veut lieu de vie, avec un penchant centre culturel. C’est ici que l’on vient acheter ses places pour « Les Escales », et à l’occasion on se retrouve nez à nez avec un ouvrage sur un artiste au programme dudit festival. Certaines animations sont exclusivement « Man », d’autres réalisées avec le CCP ; au menu des activités littéraires, le prix Pelloutier, prix inter-comités d’entreprise qui alterne d’une année sur l’autre une sélection de huit BD ou de huit romans.
28 000 € sont alloués à la commission Culture bibliothèque, soit 10% du budget du CE. À nuancer, sachant que 15 000 € sont consacrés à la billetterie subventionnée. La culture s’affirme donc comme un axe important de la politique du CE. Même si... la fréquentation de la bibliothèque (18,8 % du personnel) est en légère baisse.
Cette diminution va de pair avec la baisse du nombre de salariés. L’entreprise ne compte plus aujourd’hui que 586 salariés, contre un peu plus de 700 il y a une quinzaine d’années. La baisse de fréquentation est aussi dûe à la pause du midi, à présent plus courte. Les salariés disposant de moins de temps, le passage en bibliothèque se fait plus furtif, et « les échanges entre lecteurs deviennent plus rares », précise Fabienne Joanny. « D’une certaine manière, il y a moins d’échanges littéraires ».
Le temps de travail de la bibliothécaire a été diminué d’une heure. Pourtant la bibliothèque a vu ses horaires d'ouverture augmentés. Fabienne Joanny doit maintenant se consacrer totalement à cette permanence, soit 19 heures par semaine. Auparavant, le lieu était ouvert de 12h30 à 14h30, aujourd’hui la permanence se tient de 11h45 (heure à laquelle les salariés ont l’autorisation de quitter leur poste) jusqu'à 15h45, du lundi au jeudi, tandis que le vendredi, la fermeture a lieu à 14h45.
Reste la volonté d’aller, encore et toujours, chercher de nouveaux lecteurs. Par tradition d'entreprise, un livre est offert aux salariés à chaque Noël, et aussi à chaque naissance chez un salarié. Pour les encourager à découvrir le lieu, les salariés doivent venir chercher ces cadeaux à la bibliothèque. Parmi les usagers, on compte peu de cadres, mais plutôt des employés qui ne sont pas forcément des habitués des bibliothèques par ailleurs. On peut en déduire que l’opportunité du livre sur le lieu de travail joue un vrai rôle de sensibilisation.
Fabienne Joanny et Stéphane Baranger, secrétaire du CE, constatent que la bibliothèque constitue un confort pour les salariés, un bien commun. Ce lieu offre une parenthèse dans la journée, pour échapper un instant au labeur, c’est un sas de décompression. Que cette parenthèse soit culturelle en fait toute sa richesse : ici, travail et livre sont des mots qui vont très bien ensemble.