Man Diesel : le livre au coeur de l'usine

Publié le 21/06/2018 par Patrice Lumeau

Il y a à Saint Nazaire, nichée au milieu des géants des mers, une bibliothèque particulièrement active.

Pas question d’y accéder librement, le passage est bien gardé. Dans ce port industrieux, il faut montrer patte blanche, ou alors être salarié de l’entreprise Man Diesel.

La bibliothèque de Man Diesel est dirigĂ©e par le CE et sa bibliothĂ©caire, Fabienne Joanny, mise Ă  disposition par le CCP.

DĂ©cryptons : le CE est le comitĂ© d’entreprise, en l’occurrence ici celui de Man Diesel qui « produit des moteurs destinĂ©s aux applications  marines. Â»
Le CCP, Centre de Culture Populaire, est une association nazairienne rĂ©unissant diffĂ©rents comitĂ©s d’entreprise. Sa mission est de diffuser la culture dans le monde du travail. 

Fabienne Joanny règne sur ces lieux de quelques 110 m2 depuis quinze ans. La bibliothèque, crĂ©Ă©e en 1987, dispose d’un fonds similaire par sa diversitĂ© Ă  celui d'une bibliothèque municipale : 25 000 documents dont 3 500 CD.

La commission Culture bibliothèque du CE manifeste une forte volontĂ© d’être visible des salariĂ©s. D’ailleurs, Fabienne Joanny n’a pas, selon l’expression populaire, les deux pieds dans le mĂŞme sabot. ArmĂ©e d’un chariot de livres, chaque mardi, elle s’en va une demi-heure durant, au moment du changement d’équipes, conquĂ©rir de nouveaux lecteurs aux quatre coins de l’entreprise. Cette bibliothèque sur roulettes attire Ă  chaque fois une dizaine de personnes. La sĂ©lection livresque se fait en fonction de l’actualitĂ©, du profil des lecteurs potentiels et des demandes spĂ©cifiques.

Tout est mis en Ĺ“uvre pour faire vivre le livre et attirer le lecteur. En plus des rencontres entre lecteurs et avec des auteurs, diverses animations sont Ă©galement programmĂ©e par cette bibliothèque d’entreprise.
La fĂŞte de la musique est prĂ©texte Ă  une animation autour du flamenco. Les beaux jours et le littoral voisin sont l’occasion d’une sortie-dĂ©couverte des algues. Un lien avec le livre toujours existe. Actuellement la bibliothèque est colorĂ©e de maillots du Tour de France dĂ©dicacĂ©s. S’y juxtapose un espace dĂ©diĂ© au joli mois de mai 68. Le tout est ouvragĂ© de livres de rĂ©fĂ©rence. Ă€ noter, un atelier « aquarelle Â» bimensuel, animĂ© par un retraitĂ© de Man, car les compĂ©tences de tous sont sollicitĂ©es dans un esprit de partage.

 

La bibliothèque se veut lieu de vie, avec un penchant centre culturel. C’est ici que l’on vient acheter ses places pour « Les Escales », et à l’occasion on se retrouve nez à nez avec un ouvrage sur un artiste au programme dudit festival. Certaines animations sont exclusivement « Man », d’autres réalisées avec le CCP ; au menu des activités littéraires, le prix Pelloutier, prix inter-comités d’entreprise qui alterne d’une année sur l’autre une sélection de huit BD ou de huit romans.

28 000 € sont alloués à la commission Culture bibliothèque, soit 10% du budget du CE. À nuancer, sachant que 15 000 € sont consacrés à la billetterie subventionnée. La culture s’affirme donc comme un axe important de la politique du CE. Même si... la fréquentation de la bibliothèque (18,8 % du personnel) est en légère baisse.

Cette diminution va de pair avec la baisse du nombre de salariĂ©s. L’entreprise ne compte plus aujourd’hui que 586 salariĂ©s, contre un peu plus de 700 il y a une quinzaine d’annĂ©es. La baisse de frĂ©quentation est aussi dĂ»e Ă  la pause du midi, Ă  prĂ©sent plus courte. Les salariĂ©s disposant de moins de temps, le passage en bibliothèque se fait plus furtif, et « les Ă©changes entre lecteurs deviennent plus rares Â», prĂ©cise  Fabienne Joanny. « D’une certaine manière, il y a moins d’échanges littĂ©raires Â».

Le temps de travail de la bibliothĂ©caire a Ă©tĂ© diminuĂ© d’une heure. Pourtant la bibliothèque a vu ses horaires d'ouverture augmentĂ©s. Fabienne Joanny doit maintenant se consacrer totalement Ă  cette permanence, soit 19 heures par semaine. Auparavant, le lieu Ă©tait ouvert de 12h30 Ă  14h30, aujourd’hui la permanence se tient de 11h45 (heure Ă  laquelle les salariĂ©s ont l’autorisation de quitter leur poste) jusqu'Ă  15h45, du lundi au jeudi, tandis que le vendredi, la fermeture a lieu Ă  14h45.

Reste la volontĂ© d’aller, encore et toujours, chercher de nouveaux lecteurs. Par tradition d'entreprise, un livre est offert aux salariĂ©s Ă  chaque NoĂ«l, et aussi Ă  chaque naissance chez un salariĂ©. Pour les encourager Ă  dĂ©couvrir le lieu, les salariĂ©s doivent venir chercher ces cadeaux Ă  la bibliothèque. Parmi les usagers, on compte peu de cadres, mais plutĂ´t des employĂ©s qui ne sont pas forcĂ©ment des habituĂ©s des bibliothèques par ailleurs. On peut en dĂ©duire que l’opportunitĂ© du livre sur le lieu de travail joue un vrai rĂ´le de sensibilisation.

Fabienne Joanny et StĂ©phane Baranger, secrĂ©taire du CE, constatent que la bibliothèque constitue un confort pour les salariĂ©s, un bien commun. Ce lieu offre une parenthèse dans la journĂ©e, pour Ă©chapper un instant au labeur, c’est un sas de dĂ©compression. Que cette parenthèse soit culturelle en fait toute sa richesse : ici, travail et livre sont des mots qui vont très bien ensemble.