🚨 Culture en Crise 🚨

Vivre son indépendance

Publié le 21/12/2018 par Romain Allais
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Espèce souvent solitaire, mais plus sociable que ce qu’elle veut bien lai  sser paraître, l’Homo independantus se répand dans le monde des livres, mais reste finalement méconnu. Ses mœurs variées, ses activités multiples et la diversité des biotopes dans lesquels il exerce mériteraient une mono-graphie. Le présent article, à travers l’étude de deux cas, permettra d’en esquisser les traits les plus saillants.

Le premier sujet observé se nomme Alexis Horellou, illustrateur qui vit à Niafles en Mayenne. C’est un indépendant des champs avec un statut d’auteur. Le second s’appelle Michel Zelvelder, correcteur scientifique au Mans. C’est un indépendant des villes en Sarl à associé unique.

Bien que tous deux indépendants, ces individus ne se ressemblent guère, ni dans les raisons qui les ont menés à l’indépendance, ni dans la manière de la vivre. Alexis appartient à une espèce spécialisée, pour qui l’autonomie semble une nécessité. « Je veux faire de la BD et des illustrations depuis toujours », affirme-t-il. Michel est davantage une espèce opportuniste. À l’issue de nombreuses expériences dans l’édition au sens large (Pour la Science, Elsevier, Nathan, Larousse, Inra…), il s’est retrouvé sans activité. « J’ai donc créé mon poste en 2008.

Je n’avais jamais eu l’état d’esprit d’un entrepreneur, mais ça s’est avéré plus simple que je ne le pensais. »

Être réactif

Si l’un défend farouchement son indépendance – « J’aime bien être seul. Si je bosse avec des gens je déprime et je n’arrive pas à travailler avec un patron », affirme Alexis sur le ton de la plaisanterie, mais une plaisanterie où affleure une vision du monde –, l’autre n’en a jamais fait son cheval de bataille. D’autant plus que, « s’il n’y a plus de patron, il y a des clients », rappelle Michel. Difficile pour lui, par exemple, de s’autoriser de longues vacances. « Je peux prendre assez facilement trois ou quatre jours, mais c’est difficile de partir plus longtemps », notamment parce qu’il travaille sur des revues qui demandent un suivi régulier tout au long de l’année. « Et puis je veux être réactif, répondre au plus vite… »

La problématique de la clientèle s’impose aussi à Alexis. « Un projet comme Plogoff (Éditions Delcourt) nous [lui et sa compagne, Delphine Le Lay, ndr] a demandé deux ans et demi de travail, et on a gagné 8 000 €. » Sans le travail salarié de sa compagne, il lui serait difficile de continuer dans cette voie, alors que l’industrie de la BD fonctionne pourtant à plein régime. Réédité cinq fois, Plogoff a donné au travail d’Alexis une visibilité… relative. « On s’était dit qu’après ça on serait tranquilles, mais le projet suivant n’a pas été pris. Et pendant six mois, on s’est fait refuser tous nos projets. » Dur, surtout qu’« entre deux BD il n’y a pas de chômage ». Un auteur, en effet, ne cotise pas à l’assurance chômage. À ces difficultés d’ordre financière s’ajoute, de l’aveu même d’Alexis, une méconnaissance du statut d’auteur. « Je suis à l’ouest sur tout ce qui concerne l’administratif. »

Tenir les échéances

Son statut, Michel, lui, le connaît bien. Ce qui le chagrine, c’est l’isolement. « J’aime bien rencontrer les autres indépendants, ce qui était plus facile quand j’avais un bureau en ville. Maintenant que je travaille chez moi, il faut que je me force un peu à sortir. »

Autre source de préoccupation : la santé. Sur ce point, les indépendants ne sont pas logés à la même enseigne. En Sarl, Michel cotise au régime des travailleurs non salariés. En tant qu’auteur, Alexis cotise à l’Agessa. Dans son cas, il n’est couvert que si ses revenus atteignent le seuil d’affiliation, fixé à 8 784 € en 2017. À ce titre, « je dépends de la Sécu de ma compagne ». Malade pendant deux semaines, Alexis a « continué à bosser dans un état hallucinant parce que c’est très compliqué de ne pas tenir les échéances ».

Clients exigeants, délais difficiles à tenir, inactivité subie, vacances sacrifiées, rémunération aléatoire, méconnaissance de ses droits et devoirs, isolement, couverture santé plus complexe… L’indépendance vaut-elle le coup ? Malgré toutes les difficultés qu’ils ont identifiées, Alexis et Michel n’expriment aucun regret. À travers leurs exemples se dessine un Homo independantus lucide sur sa situation, parfois menacé par la précarité, mais qui semble placer sa liberté, pourtant relative, au-dessus de toute autre considération. 


 

Entreprenant plutôt qu'entrepreneur

Devenir indépendant, c’est d’abord se poser une question : suis-je fait pour ça ? Car un indépendant est un entrepreneur qui doit vivre de son activité, une notion qui parfois effraie. « C’est pourquoi je préfère utiliser “entreprenant” plutôt que “entrepreneur” », explique Céline Baudouin, conseillère en création et développement d’entreprise chez BGE. Ce qui caractérise cet « entreprenant », c’est l’envie d’être « son propre pilote ».  Un pilote qui définit son projet en cohérence avec ses expériences et ses compétences.  Un pilote capable d’estimer ce qu’il est prêt à perdre pour réussir.  

Un pilote prêt à changer de cap en fonction des rencontres et des contraintes, souvent sources de nouvelles possibilités.

Vous vous reconnaissez ? Alors lancez-vous car c’est « très simple. Il existe plusieurs statuts adaptés. De plus, tout est réversible et tout est évolutif. »

Site de la BGE (Boutique de gestion des entreprises) 


Bibliographie à l'usage de ceux et celles qui veulent devenir indépendants... ou le sont déjà

CANNONE Belinda, Le Sentiment d’imposture, Folio, 2009.

CARNEGIE Dale, Comment se faire des amis ?, Le Livre de poche, 1990.

Comment les entrepreneurs pensent et agissent… vraiment, article du blog de Philippe Silberzahn :