Thierry Fétiveau, créateur de caractères typographiques

Publié le 20/05/2015 par Emmanuelle Ripoche et Elisabeth Sourdillat
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Thierry Fétiveau décrit ce métier mystérieux, presque oublié et pourtant omniprésent dans notre civilisation de l’écrit.

Passionné par la calligraphie, Thierry Fétiveau a suivi des études de graphisme avant de se spécialiser en typographie pour devenir créateur de caractères. Le dessinateur de caractères invente et dessine des typographies d’alphabets. À ne pas confondre avec le typographe, qui lui, selon le sens historique, composait les textes avant de les imprimer. Diplômé en 2014, il a déjà conçu cinq polices originales et diffusé la première, le caractère Lewis.


Quelles sont les formations pour devenir créateur de caractères ?

J’ai fait une école de graphisme à Nantes, GraphiCréatis, et lors de mes études je me suis rendu compte que c’était vraiment la typographie qui m’intéressait. J’ai donc intégré L’ESAD d’Amiens qui propose un post-diplôme spécialisé, avec un petit groupe de formation (quatre élèves pour quatre enseignants) et un véritable projet professionnel à mener en dix-huit mois. C’est à cette occasion que j’ai créé la typographie latine et arabe Batutah. Il existe aussi d’autres formations.

QUELQUES FORMATIONS À LA TYPOGRAPHIE
Formations francophones
École Estienne – Paris / ESAD – Amiens / ECAL – Lausanne /
La Cambre – Bruxelles

Formations anglophones
Reading – UK / KABK, Den Haag - Pays-Bas



Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui commencent ?

Se renseigner sur ce qui se fait, aller sur des sites de créateurs de caractères, lire les magazines spécialisés comme Étapes. Et surtout s’intéresser à la typo au quotidien : faire des photos d’enseignes dans la rue, étudier la typographie des magazines… Par exemple, regarder un titre de très près pour essayer de comprendre comment les lettres sont faites, puis les redessiner. On croit savoir, mais il faut s’intéresser dans le détail.

Pouvez-vous nous décrire votre métier ?

C’est un métier assez « mystérieux » au sens où, quand j’en parle, on s’étonne : « mais en fait il y a des gens qui dessinent des caractères ? » La typographie est partout autour d’eux mais ils ont du mal à imaginer que quelqu’un ait conçu et dessiné chaque lettre d’un alphabet ! Il y a des dessinateurs pour les caractères de presse imprimée, pour le web, pour les écrans de tableau de bord des voitures, etc. Autant de cas différents et donc autant de caractères différents : le métier consiste à créer un alphabet sur-mesure. Certains dessinateurs aiment d’abord réaliser des croquis, puis les scanner et les travailler sous FontLab ou Robot Font (principaux logiciels de dessin de polices de caractère, pour en faire une typographie, d’autres préfèrent directement travailler sur ordinateur. Pour ma part, j’aime avoir une phase de dessin au croquis d’abord : on obtient quelque chose de plus expressif.

Qu’en est-il de la protection des droits d’auteurs de typographies sur Internet ?

Le piratage est une question importante dans notre métier : quand on charge une typo sur Internet, si on ne la protège pas, elle peut être réexploitée sans notre accord. Un problème pour nous, car nous n’avons pas envie de perdre des choses qu’on a créées et qu’on souhaite vendre. Le piratage, comme dans d’autres domaines culturels, est assez fréquent. Il y a moins le problème en Europe du Nord, en Angleterre et aux États-Unis, où la culture de la typographie et le rapport à l’achat des polices de caractères sont différents.

Quels sont les modes de rémunération ?

Il existe deux cas de figure. Le retail : on crée une typographie qu’on vend ensuite sur différents sites Internet de distribution, appelés fonderies de caractères (en référence au terme historique, bien sûr aujourd’hui plus personne ne fond du plomb !). Le dessinateur perçoit alors des droits pouvant s’élever jusqu’à 50 % du prix de vente. Et il y a le caractère de commande, pour de grandes marques françaises et des maisons d’édition qui ont besoin de caractères sur-mesure. Un prix forfaitaire est fixé pour la création d’une famille de caractères, la livraison de fichiers qui fonctionnent sur papier et sur écran et la cession des droits d’auteurs. Ensuite, la question de la gratuité et des prix varie selon les dessinateurs.

Il y a différents modèles économiques : le mien, c’est un prix fixe pour toutes les polices de caractère que je vends. Certains mettent des prix bas pour vendre plus ; certains proposent une graisse gratuite et les autres payantes. Chacun trouve le modèle économique qui lui convient. Ce qui est sûr, c’est que dans mon milieu professionnel, la question des licences, de leur prix, la gratuité et le piratage sont des questions récurrentes.

Comment envisagez-vous l’avenir du métier de typographe ?

Ces dix dernières années, on constate qu’il y a de plus en plus de formations et de conférences au sujet de la typographie, c’est donc un domaine en développement. Un des axes les plus intéressants à développer, c’est la création de caractères pour des langues qui n’utilisent pas l’alphabet latin et qui sont en manque de typographies dans leur langue. Par exemple le russe, l’arabe, le grec, l’hébreu, le thaï, le chinois et les langues d’Inde (tamoul, bengali, etc.). Il y a donc encore beaucoup de typographies à créer !

(Nous remercions chaleureusement la librairie-café Les Bien-Aimés à Nantes (T. 02 85 37 36 01 / librairielesbienaimes@gmail.com) pour leur accueil et les photographies réalisées.)