Veille, de Nathalie Michel

Publié le 23/05/2017 par Claire-Neige Jaunet
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Dans Veille, le nouveau recueil de Nathalie Michel où s’exprime un rapport fort à la terre, les veilleurs sont le poète et le lecteur. Lecture de Claire-Neige Jaunet.

"Journal disait à l'origine la tâche du paysan qui retourne à la terre. La page du champ retourné au bout du soc ou de la bêche faisait l'espace de la journée du journalier". Ce rappel explique pourquoi  Nathalie Michel donne à son recueil poétique Veille la forme d'un journal où s'exprime un rapport fort à la terre, au sol.

Tout ce qui donne une présence concrète aux paysages est convoqué : les variations du ciel, la douceur de l'herbe ou la chaleur excessive, "le grand vert épais" ou "la terre en poudre", un champ fleuri, un croissant de lune, le goût "des petits pois crus" ou de la menthe dans laquelle on a mordu... car "vivre est contact".

Ce monde de la terre est un réservoir de vie où le règne animal exhibe sa liberté et ses capacités de résilience, et il faudrait parfois savoir être vache, ou chien, ou âne... La nature qui est là, si nous savons la regarder, nous parle de nous-mêmes et nous invite à retrouver l'essentiel : libérer "le réseau de racines" qui court dans le sol (un travail de chaque jour...); "ne plus entendre que le vent, les oiseaux, le vol des insectes" pour fuir "la voracité humaine";  mettre des graines dans la terre avec nos mains; demeurer "une verticalité qui s'oppose aux vents"; étudier les fleurs et "les liens qu'elles entretiennent avec la lumière"... Toutes ces choses vitales font percevoir comment "je m'uni-vers".

L'essentiel apparaît alors dans le silence des forêts sombres où la respiration des branches fait taire les mots. Ils "manquent" et "fuient", ces "pauvres mots" en réalité "muets" et qu'on accumule "en vain". Regardons les maraîchers : ils "n'écrivent pas mais ils tracent des sillons". Celui qui sait entendre l'informulable peut devenir un veilleur, et démasquer ce qui nous jette hors de notre sol: la misère qui couche des hommes au pied des immeubles, les images sans matière fabriquées par des pixels, les échanges numériques, les écrans qui nous renvoient le naufrage du monde moderne, les lieux sans âmes, dévorés par les lois du commerce et les bruits incessants, où il est impossible de "se réparer"...

Toutes ces choses nous font faire un saut dans "l'in-monde". Sont aussi des veilleurs le poète, l'écrivain, le lecteur, car le livre "c'est la paix contre le fléau de la domination", encore faut-il que le livre soit "un carnet de vers de terre" où le souffle primordial passe à travers les mots, des mots ayant résisté à la surabondance et ne participant pas au brouhaha moderne qui jette "le réel hors de nous". L'espace de la veille est fait de nuit, de silence, et d'éternité.

Veille, de Nathalie Michel, Éditions Lanskine, 90 p., 14 €, ISBN: 979-10-90491-39-7.