Turco, de Sylvain Chantal, est le premier roman publié par Bouclard, une nouvelle maison d’édition nantaise. Un roman explosif, humoristique et documenté, aux descriptions ciselées des personnages. Lecture de Jean-François Sabourin.
Tout à la fois scénariste, réalisateur, auteur de théâtre et de romans, Sylvain Chantal est à la littérature française ce que la série télévisée MacGyver est au gouvernement américain. Journaliste, ancien rédacteur en chef de Kostar et de Paplar, auteur du livre anniversaire sur la célèbre salle nantaise L'Olympic Club de Nantes (livre retraçant l'histoire de la SMAC nantaise), il travaille aujourd'hui pour une agence d’information sur la culture. Auteur de Tu (Éditions L'Escarbille) et de Pas Dieu possible (Éditions Goater), il est par ailleurs auteur de dramatiques radiophoniques pour Radio France.
Dans ce premier roman publié par Bouclard, une nouvelle maison d’édition nantaise, Sylvain Chantal met en scène l’histoire de son aïeul qui fut chauffeur du Négus Haïlé Sélassié durant la Seconde Guerre mondiale et espion aux confins du Moyen-Orient et de l’Éthiopie du début du XXème siècle faisant de Turco un récit totalement incroyable et pourtant véridique. En passant par Rome et Beyrouth, l'auteur nous entraine dans son enquête révélant le vrai métier de son aïeul : agent secret des services italiens...
“Un samedi comme les autres, rôti-patates chez ma grand-mère. D’ordinaire, les conversations tournent autour de François Fillon, qu’elle déteste, ou de feu mon grand-père, qui lui manque. Et là, missile : pour la première fois, elle me raconte son oncle, Francesco de Martini, chauffeur du Négus Haïlé Sélassié. L’empereur d’Éthiopie ? Mais Mémé, pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé avant ? Tu n’as qu’à venir me voir plus souvent, elle répond. C’était il y a trois ans. Aujourd’hui, Mémé est morte. Je pars à Rome, où le ‘tonton’ a fini sa vie, et à Beyrouth, où il fut missionné pour créer les services secrets italo-américains, dans l’espoir de reconstituer l’histoire de cet aïeul, mi-Lawrence d’Arabie, mi-James Bond. On l’appelait ‘O Turco’. Le Turc.”
L'intrigue est presque secondaire, à chercher davantage dans la toile de fond, dans le processus inexorable de l'Histoire en marche et la marécageuse humanité des magouilles politiques que dans les déductions sagaces et les coups d'éclat du héros. “Affecté en Syrie, écrit Sylvain Chantal, mon grand-père vivait avec sa jeune épouse à Deir ez-Zor. Un jour, et ma grand-mère avait eu un pressentiment, elle avait quitté leur domicile et s’était réfugiée au sein de la garnison. La femme d’un militaire français fut, quelques heures plus tard, violée, torturée et tuée. Ma grand-mère réclama un flingue pour aller tous les buter ces cons, ce que bien sûr on lui refusa, mais je sais qu’elle en aurait été capable.”
Récit d’intrigues captivantes et de sinistres machinations, itinéraires tragiques d’hommes ordinaires saisis par la fatalité ou happés par des engrenages qu’ils auront cru dominer, ce roman de l’existence et de la destinée montre quel maître du suspense est Sylvain Chantal. L’auteur nous fait voyager d'un pays à un autre, d'une époque à une autre, tissant toute une toile complexe sans jamais perdre le fil pour autant. Tenu en haleine au fur et à mesure que les chapitres s'égrènent, le lecteur suit l'histoire et l'Histoire de ses yeux attentifs pour y découvrir les mystères de cet énigmatique “tonton”.
On s'approche, se rapproche et se sent bien vite en intimité avec les protagonistes, en quête tout comme eux de réponses aux énigmes que nous propose l’auteur. Poussant le lecteur à accélérer le rythme pour connaître le dénouement, l'écriture de Sylvain Chantal est méticuleuse, obsessionnelle, augurant celle d'un Modiano. On pressent que l'auteur s'intéresse moins aux ressorts de l'action qu'à l'étude de caractère de ses personnages.
En vérité, Sylvain Chantal plonge son œuvre dans le roman d'espionnage moderne en décrivant un monde où l’on se dit que nous n’aimerions pas vivre, avant de nous apercevoir que c’est le nôtre. Il fait avancer ses protagonistes comme un maître d’échec, implacable, sachant d’avance le résultat final, parvenant toutefois à le masquer en parfait illusionniste. Un roman explosif, humoristique et documenté, aux descriptions ciselées des personnages, le genre de livre qui traîne encore longtemps dans un coin de la tête une fois achevé.
Turco, de Sylvain Chantal, préface de Vincent Ravalec, Bouclard éditions, 208 p., 19 €, ISBN : 978-2-9565635-2-5.