Au bout de la terre, dans le Finistère, existe une falaise de laquelle les déprimés viennent se jeter. Heureusement deux bonnes âmes veillent. Tout le bonheur du monde (tient dans ta poche) est un livre sur le suicide qui ne cache rien des grands tourments mais qui entre les lignes rappelle que l’espoir est parfois au bout du chemin. Lecture d’Amandine Glevarec.
Il est toujours troublant de lire le livre d’un ami que l’on distingue toujours entre les lignes, c’est d’autant plus troublant quand cet ami souffre d’un syndrome bien étrange dont son livre souffre aussi. Qui devinerait sous les abords très gendre idéal de Frédéric Mars une personnalité qui n’est pas si sage, qui imaginerait que sous cette couverture rose bonbon qui arbore de plus un fier bonheur se cache l’un des livres les plus désespérés que je n’ai jamais lu ? Bien sûr, le sujet donnait le ton, dans cet Infinistère, sur cette terre de bout de monde, existe un spot bien trop connu, celui des suicidaires. Mais Mathilde et Louise, et sans un mot, et en douceur, celle du grand âge, arrachent les futurs envolés au vol qui les amènerait tout en bas de la falaise. Et puis c’est la maison aux volets peints, le refuge où quelques-uns de ces non suicidés essayent de reprendre un peu de souffle. Certains y arriveront, et d’autres non, la vie est ainsi faite, la fiction tout autant.
Frédéric Mars a la classe et son écriture à son image, ça déroule sans souci, est-ce moi ou entends-je la plume qui crisse, qui s’énerve, qui s’agace de la vie qui grince, des équations insolubles, des abandons et de ceux que l’on abandonne. Est-ce moi ou sous les traits de notre narrateur – Fred-dit-Luc – mise au point, focale, je distingue un tel désespoir qu’il m’oblige parfois à éteindre plutôt que de poursuivre, plutôt que de sombrer à sa suite, évitons les larmes. Pourtant il reprend goût à la vie, Fred, ou tout au moins il vit, survit, s’excite des petits mystères de ses deux hôtesses qu’il s’amuse à élucider, s’entend avec ses colocataires, gardant une pensée pour chacun, une empathie pour tous, premier pas qui le fera tourner dos à la falaise. Tour à tour nous les découvrons toutes et tous, dans leur humanité, dans les grandes désespérances, dans leurs erreurs passées et à venir. Accrochez-vous, au cœur et au mouchoir, Tout le bonheur du monde tient peut-être dans la poche, mais y jeter un œil suffira à vous y plonger tout entier. Et il y fait noir.
Si j’osais un conseil à ces hommes qui se fuient, qui se cachent sous des carapaces bien trop lourdes à porter, sous des exigences qu’ils n’imposent pas aux autres, eux les empathiques, le paradoxe, je me dirais que c’est certain, vous tenez entre vos mains un livre formidable et bouleversant, qu’il est fait de l’étoffe des grands drames, et peut-être, vous aussi, comme moi, sentirez cette impatience d’attendre le prochain, celui où l’auteur, ou le personnage, s’autorisera, s’autoriseront, à être autre chose que ce qu’ils montrent, autre chose que ce que nous attendons d’eux.
Tout le bonheur du monde (tient dans la poche) , de Frédéric Mars, Éditions French Pulp, 352 p., 18 €, ISBN 9791025102534.