La solitude du Quetzal de Jacky Essirard — un beau récit personnel de voyage sur le Guatemala d’aujourd’hui et un subtil roman sur “l’espace du dedans”. Lecture de Jean-Luc Jaunet.
Le livre de Jacky Essirard, récit d’une “échappée au Guatemala” à la belle écriture délicate et sensible, échappe aux catégories habituelles. On pense d’abord à un carnet de voyage avec, en couverture, la carte du Guatemala, les plans et étapes du périple en premières pages. Mais le texte tourne vite au journal intime. Sitôt arrivé, le voyageur donne la raison de cette soudaine “échappée”: oublier la rupture amoureuse. Sans mesurer vraiment la prégnance des images encore attachées à la personne aimée ! Du coup, son voyage dans le “kaléidoscope” du Guatemala se double aussi, souvent, d’une exploration pénible de son “pays intérieur”.
Le narrateur enchaîne les découvertes : villages, ruines, marchés, décors grandioses, sourires ou regards cueillis ici ou là ; mais, aussi, impression que tout se banalise, est gagné par la société de consommation. Et puis, il y a la rareté des contacts vrais, la sensation de n’être qu’un “voyageur de surface”.
Tout habité par sa “tragédie amoureuse”, le narrateur n’a pas la disponibilité d’esprit pour aborder une “terre neuve”, l’audace nécessaire pour connaître l’aventure, voire des aventures. Pire, — et ces scènes-leitmotiv émaillent le récit —, les lieux, les rencontres font resurgir l’image de la femme perdue, ramènent le voyageur à sa souffrance : ainsi, l’achat d’un petit tableau lui rappelle un autre tableau “acheté ensemble”; la vue d’une glycine rachitique, celle opulente du jardin d’amour; le passage d’une procession, la manifestation où il a rencontré celle qu’il nomme désormais Maya. Maya : “manière de relativiser son existence” dit le narrateur, mais aussi de relocaliser de façon bien imprudente l’objet aimé dans le cadre même qui était censé l’effacer !
Peinant à s’extraire de son drame amoureux, le narrateur ne semble disposer en fait que d’un seul allié, la littérature, en l’occurrence l’ouvrage d’H. Michaux, Ecuador, emporté avec lui. Si les conditions éprouvantes du périple en Équateur tranchent avec le confort de la balade touristique au Guatemala, le narrateur “se retrouve” bien en revanche dans le texte et le regard incisifs de Michaux sur son voyage. Et puis découvrir le nom de By à la fin d’un poème, penser que le poète aurait, lui aussi, “laissé un amour derrière lui”, voilà de quoi adoucir son propre mal et motiver, lors du retour, la plongée apaisante dans les livres pour identifier cette inconnue.
Si l’ouvrage de Jacky Essirard est un beau récit personnel de voyage sur le Guatemala d’aujourd’hui, c’est aussi un subtil roman sur “l’espace du dedans” du Quetzal solitaire, du narrateur esseulé.
La solitude du Quetzal : Échappée au Guatemala, de Jacky Essirard, Éditions Yovana, 132 pages, 15€, ISBN: 970-10-95115-01-4.