En plus de son travail d’éditeur, Thierry Bodin-Hullin poursuit son travail d’auteur. Son roman, Un pur hasard, est sorti au printemps passé, ainsi que son recueil d’aphorismes poétiques, Deux trois mots sans importance. Lecture de Patrice Lumeau.
Le roman, comme un policier, s’ouvre sur une disparition. Paul Hébert règne sur le jeu de pions en maître incontesté : il n’a jamais été vaincu en dix ans. Mais la veille du championnat du monde, il disparaît ! Le jeu de pions a supplanté rapidement, dès sa création, les quatre jeux desquels il s’inspire, les dames, les échecs, le go et l’Othello. Le fidèle ami de Hébert, le narrateur, qui se trouve être aussi le fondateur et rédacteur en chef de Pion magazine, ne croit pas à cette disparition.
L’auteur nous embarque facilement dans l’univers du jeu, que l’on soit familier ou pas des pions. Une première partie nous fait partager la passion des deux amis, le narrateur et le joueur de talent, avant d’emmener le lecteur vers Nantes, ville qui fleure bon, “comme un air marin qui te fait espérer l’océan”.
S’ensuit une seconde partie où se joue l’énigme de la disparition. Thierry Bodin-Hullin ne cache pas son attachement aux auteurs qui ont frotté leur plume à l’univers du jeu (de Zweig à Mallarmé).
Ici, l’auteur livre une vision toute personnelle du jeu. Jeu qui pourrait bien cacher un je. L’obsession, voire l’addiction, comme le hasard sont abordés avec finesse sous l’angle de ce fameux jeu de pions... et du dé. Sans conteste les deux personnages clés subissent “le je” du sort. Ils se trouvent retournés comme dans une partie régie par ? Mais par qui donc est réglée cette partie ?
Car chacun de nous est engagé. À ce petit jeu on risque de perdre gros. Dans ce que l’on nomme hasard, quelle est la part réelle de hasard ? Pointe la question du déterminisme et du libre arbitre. Le jeu devient métaphore et explore l’âme humaine, mettant à nu ses travers. Le rêve, récurent dans l’ouvrage, sonde la pureté dudit hasard. “La science, vois-tu, est trop rigide [...] Certains faits avérés sont... comment dire... sont en fait ! en vérité !... des chimères, des... illusions, oui c’est cela... désillusion !”. Le titre de l’ouvrage, Un pur hasard, aurait pu s’accompagner d’un point d’interrogation. Le mystère de la disparition constitue le pari tout à fait réussi de ce roman. On se laisse prendre au livre. Un dé suffit à faire trébucher un destin.
“Faire le tour de la question. Ne jamais rentrer au cœur, donc.” Dès le début de Deux trois mots sans importance le lecteur est cueilli par ce type de réflexion. Thierry Bodin-Hullin excise le langage pour nous en montrer les travers mais aussi la puissance. De ces mots anodins il tire une substance qui ne l’est pas, anodine.
À chaque page d’aphorismes, répond en page de gauche, une photographie de l’auteur. La matière en noir en blanc semble à l’étroit, serrée dans ce carré photographique. Dans la première partie du recueil, c’est à dire dans Deux trois mots le minéral répond au texte.
Dans la seconde partie, Sans importance, le végétal est convoqué photographiquement, cependant l’effet de matière, de bloc, persiste. La rugosité des écorces semble exacerbée par des tirages haut en contraste. Paradoxalement cette impression de dureté, nous renvoie à l’épiderme, la peau des rochers, la peau des arbres. Inévitablement on songe au langage, aux mots parfois bien trompeurs, “S’enf[o]uir / Fa[m]ille”. Des mots qui au-delà de leur apparence cachent quelques secrets.
“À l’heure du rendez-vous, que sait-on du désir de l’autre, son humeur, son impatience ?”, “Sur le fil des jours, en mal d’équilibre.” À travers le langage et le jeu qu’il en extrait, Thierry Bodin-Hullin ne manque pas de balader un œil poétique sur l’ordinaire, d’interroger l’existence. “Chère écrivaine, l’aurore est orangée, bien sûr ! Comme est bleu l’œil ébloui.” Au quotidien l’auteur traque la poésie, ce recueil avec délicatesse met des mots sur cette quête. Ces petits riens qui font résonner le Tout à défaut de le faire raisonner.
Un pur hasard, de Thierry Bodin-Hullin, Éditions Lunatique, 70 pages, prix 8 €, ISBN : 979-10-97356-11-8.
Deux trois mots sans importance, de Thierry Bodin-Hullin, éditions Lanskine, 64 pages, prix 14 €, ISBN : 979-10-90491-74-8