Le recueil Pierres d’attente de Martine Morillon-Carreau, où la pierre nous parle de la "voracité du Temps" et de la capacité du minéral à nous amener vers "la marée haute du songe". Lecture de Claire-Neige Jaunet.
C'est à une rêverie sur le minéral que Martine Morillon-Carreau nous conviait en 2013 avec son recueil Pierres d'attente, un recueil à redécouvrir aujourd'hui, comme ces pierres de ruines enfouies dans le paysage, qui ne se dévoilent pas tout de suite, et qui "se mettent à faire signe" au second regard.
Qu'est-ce qu'une pierre d'attente? C'est une "pierre en saillie qui peut servir d'amorce à une nouvelle construction", et, plus généralement, un "élément provisoire appelé à être complété, voire supprimé ou remplacé".
La lecture de ces poèmes nous amène à soupçonner que c'est là en réalité le destin de toute pierre, même si le minéral nous fascine d'abord par son côté pérenne: "blocs rocs rochers cailloux galets" sont au monde "depuis tellement plus longtemps que nous", depuis un Commencement initié par le "combat des pierres" d'où jaillit "l'instant étincelle".
Pour autant, la pierre n'est pas une permanence, son existence a un rythme, connaît des étapes et des passages. Ainsi, elle impose le "dernier mot minéral" quand elle incorpore à sa matière le végétal dont elle a "arrêté" la vie et qu'elle enferme dans un "cercueil de silice", prenant en charge la "mémoire" de la forêt disparue; mais ailleurs, des ouvrages tombés en ruines redeviennent des pierres que recouvrent les "semences", les "racines", et les "moissons nouvelles"... Les flots de feu crachés par les volcans finissent en "fleurs de calcédoine" et en "écorces de pierre" sur des terres qui "ont tant de fois changé de forme"... Les sculptures au porche d'une église s'effritent et la pierre brute y reprend ses droits...
Toute pierre est donc bien une pierre d'attente, elle demeure, se retire, ou se transforme, pour qu'advienne un autre moment: elle est comparable aux fleuves et à "l'inconstance de leur cours". Le face à face final entre l'enfant et le galet invite à méditer sur le temps: l'enfant, symbole du devenir, joue avec les galets, témoins de l'usure. L'érosion y a creusé des excavations, "trou noir" ou "bouche ouverte" qui en font des visages, des visages qui parlent d'un passé et d'un avenir : le galet est la pierre d'attente entre "le tranchant des pierres" et la fluidité du sable.
Malgré son apparente immobilité, la pierre peut nous parler de la "voracité du Temps", et, par là -même, de la capacité du minéral à nous amener vers "la marée haute du songe".
Pierres d'attente, de Martine Morillon-Carreau, Editions du Petit Pavé, collection Le Semainier, 2013, 73 pp., ISBN : 978-2-84712-373-9.