Sauvage, la Loire ? Claire-Neige Jaunet lit le nouveau recueil de poésie de Paul Badin, qui nous donne à savourer ce fleuve fait de "brusques colères" comme de "langueurs exquises".
Le poète Paul Badin, avec son nouveau recueil Loire sauvage paru aux Editions Poiêtês, nous donne à savourer tous les aspects de ce fleuve fait de "brusques colères" comme de "langueurs exquises", ligne de partage entre langue d'oïl et langue d'oc. Son "ample trajectoire", depuis les sources du Mont Gerbier jusqu'à son "offrande océanique", pénètre dans "l'intimité d'un pays".
Sauvage, la Loire ? En témoignent ses "tourbillons de surface", ses "crues panique", ses trous d'eau où viennent se perdre les noyés, ou encore ses "digues rongées". En témoignent aussi les nombreuses espèces d'oiseaux qui peuplent ses berges (hérons, geais, corbeaux, cormorans, aigrettes, étourneaux, courlis, oies sauvages, sternes...), ainsi que la faune qui vit dans ses eaux et avec laquelle le fleuve peut se confondre : il est une "anguille", "une coulure animale" tantôt moirée tantôt teintée de chaudes couleurs.
Sauvage, la Loire l'est encore lorsqu'elle taille son chemin entre tuffeau, rocaille ou granit. Pourtant, suivre son cours, c'est rencontrer une profusion de signes culturels. L'homme a déposé son empreinte dans les paysages : levées, troglodytes, murets de pierre, humbles maisons de passeur, ou somptueux châteaux ornés d'arabesques et de meneaux. Les vignobles prestigieux se succèdent au fil des régions. Et les "mariniers du vent" redessinent les flots avec leurs chalands, leurs toues, leurs fûtreaux et leurs gabares.
Dans le chapelet de villes et de campagnes que le fleuve traverse se trouvent inscrites les "paillettes de l'histoire" : les temps gallo-romains, le Moyen Age, la Renaissance, côtoient les transformations apportées par le monde contemporain. La Loire a aussi une mémoire littéraire, qui convoque Julien Gracq, George Sand, Honoré de Balzac, Aragon, Ronsard, et Maurice Genevoix. Elle nous donne la mesure de "la meule du temps", et nous interroge sur les "heurs et déboires du monde" qui pourraient un jour l'étouffer.
Mais face à ce temps linéaire parfois inquiétant il y a aussi les grands cycles de toujours. Se suivent et reviennent les vergers en fleurs, les dons de la terre, les jours de "tombée de brouillard", "les troncs dépouillés" et les "ceps ébranchés" qui font les "squelettes de novembre", "l'éteignoir de décembre" qui apporte le vent, la pluie, la neige, et "les échardes du froid". De saison en saison, d'époque en époque, la Loire, fleuve sauvage face à des témoignages de civilisation, reste offerte à ce devenir "semoir de mystère".
Loire sauvage, de Paul Badin, Ed. Poiêtês, 2015, 90 pages, ISBN : 978-2-919942-47-6