Le nouveau recueil d'Antoine Emaz, Limite, un singulier qui nous borde de contours inconnus et glaçants. La douleur fait son domaine de cet espace où vivre prend un autre sens.
Rude limite
Ses mots sont à l'économie, comme un souffle qui se compte, s'épargne. La main appuyée contre le mur, la tête dans les épaules, dans l'incapacité de reprendre souffle et pourtant dans l'urgence encore de vouloir parler. Dire où il est arrivé. L'auteur se bat cherche du sens où apparemment il n'y en a plus ou alors il est enfoui, trésors perdu qui réapparaitra avec la banalité du quotidien, avec “le thé les volets / et le camion-poubelle”.
Le recueil s'ouvre avec “Sans date”, un texte bloc. Ne pas rater ce lancinant refrain qui s'enrichit sur plusieurs pages pour nous rappeler combien le poids de vivre et d'écrire est fécond. Puis viennent des textes très courts, leurs titres sont des chiffres qui nous font avancer de date en date. Un besoin vital de compter. Plus que les jours, de compter ces moments encore accessibles aux mots.
“moment où
le peu de poids du souffle
pèse si lourd
que l'on ne bouge plus”
Limite. Un scalpel de mots élus avec une froide rigueur, étonnants dans leur nue simplicité. Rares couperets dans le blanc de la page, une neige où s'enfonce le pieu de chaque mot à la recherche d'un sol moins mouvant. Les repères sont effacés. Le monde connu laisse place à un univers, il faut se rendre à l'évidence, très limité. L'évier en inox, froid et gris, deviendrait presque un agréable compagnon de route.
Emaz émeut. Avec peu de moyen – en apparence. Nul besoin d'emphase et déclamation. Sa poésie éclate. Et transperce. Le corps apparaît bien comme un véhicule de douleur. Jamais plus le repos ? Ce corps omniprésent dans son ample limite. Lutter, repousser le vide qui veut vous étreindre à jamais.
“13.11.2013
il
corps
peine
on le laisse dériver
moitié radeau
demi épave
sur un vivre qui va
sans trop rien dire”
Entre “10.08.2013 ” et “13.07.2015” à intervalles irréguliers Emaz égraine les mots. Ils percent dans ce combat comme autant d'éclats. Et quelquefois, dans des interstices tintent des lueurs. Dans la solitude et dans la douleur, quelque chose (hors-limite peut-être ?) tente d'exister. Alors qu'à l'intérieur de cette enclave le repos semble à jamais perdu, un souffle arrive cependant à se poser dans sa fugacité. Être au présent. S'il est question en permanence d'un rapport au temps, le présent l'emporte.
Comme il s'est ouvert, l'ouvrage se ferme avec un “Sans date”. Superbe texte final, un répit où affleurent des instants chéris de vie. Il y est même question de couleur, une couleur, bleu.
Une conscience vive s'aiguise au contact de nos frontières qu'elles soient physiques ou célestes.
Avec ses mots, ses jalons, ses bornes arrachées au langage, Emaz distille une pudeur de dire et de vivre où vibre l'écrire.
Limite, de Antoine Emaz, Éditions Tarabuste, 176 pp., 15€, ISBN: 978-2-84587-349-0.