Clodine Bonnet lit le nouveau roman de Fabienne Thomas, Inventer le jour - l’amour inconditionnel lorsque rien ne va plus.
Lire le troisième roman de Fabienne Thomas, prévoir du temps devant soi, penser qu’il sera difficile de le lâcher, comme les précédents. Ne pas se tromper.
Se mettre en compagnie de Louis, comme on se met en chemin de soi. Découvrir petit à petit, ce qui fait de lui, ce personnage si près de nous. Rien n’est définitif, ni l’amour, ni le désamour, ni la résistance, ni l’abandon. Tout est mouvant, tout est sinuant. Fabienne Thomas nous le montre bien. Nous n’avançons pas ici en ligne droite mais en méandres de souvenirs en perte de souvenirs. C’est Anna qui perd la mémoire ; Louis, lui, perd ses certitudes, comme nous tous certainement, si nous prenions le temps de remonter à la source. Le vieil homme laisse la clef de sa maison — de leur maison — accrochée au clou “comme un petit totem, gardien des lieux” et s’en va à pied. Nous lecteurs, sommes à ses côtés, aussi bien dans la lumière de juin présent que dans les saisons d’avant. Transpercés de flashs, habités de réflexions ou démunis, perdus, attristés devant l’évanouissement d’Anna.
Ici, l’écriture tout en délicatesse et en poésie n’est pas dupe de ce qui se joue. Et si l’émotion parfois nous étreint un peu trop fort, si Louis serre sa peine contre nous, Fabienne nous offre une nature faite d’herbes et d’écorces et nous y entraîne pour une plongée apaisante.
Un récit impliqué et pourtant bienveillant envers chacun : “Louis ne sait plus très bien où est sa place. (. . .) Il aurait dû être attentif à l’effacement des choses, attentif à elle. Le périmètre de l’univers d’Anna s’est rétréci et il a refusé de le voir. Il sait combien l’être humain est capable de rester sourd et aveugle aux évènements du quotidien qui le blessent, le bousculent, défient son entendement. Il essaie de se trouver des circonstances atténuantes. Il s’en veut.”
Dans ce roman comme dans les précédents, pas de jugements, pas de caricatures, mais de l’amour toujours. De soi ? De l’autre ? Le noir de la vie n’est pas nié, la vie complexe, parfois violente : “la nouvelle Anna, celle qui surgit parfois dans une tempête de violence hirsute et de cris stridents, éprouve son dévouement, sa générosité et sa patience”. À nouvelle Anna, nouvel amour : “aller plus loin, plus profond pour le chercher”. Inventer le jour. Ici comme dans L’enfant roman, l’auteure nantaise nous parle de l’amour inconditionnel lorsqu’apparemment rien ne va plus. À savoir que son précédant livre, L’enfant roman, a reçu le prix Handi-Livres 2015.
La mémoire défaillante et celle envahissante, le deuil, l’attachement, l’écho de la nature, l’attention à l’autre, sont les maîtres mots de Fabienne Thomas qui propose par ailleurs des ateliers d’écriture, des accompagnements à l’autobiographie.
Fabienne Thomas, Inventer le jour, Editions Passiflore,
204 pp., 19,50€, ISBN : 978-2-918471-43-1.