Iconostases, de Christian Vogels

Publié le 21/06/2017 par Yves Jouan
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L’étonnant premier livre du poète angevin Christian Vogels fait appel formellement à l’“iconostase” des rites orthodoxes byzantins. Lecture d’Yves Jouan.

Dans les rites orthodoxes byzantins, l’iconostase est, plus qu’un mur, une porte sur le céleste, constituée d’un ensemble d’icônes. Il y a dans le premier livre de poèmes de Christian Vogels des portes de mots qui s’offrent à nous, dans lesquelles créer nos propres chemins. Rarement lecture aura autant été acte créateur.

Est-ce à dire que le lecteur aurait, à l’intérieur de chaque page, toute liberté ? On serait alors chez Queneau, non chez Vogels. Car ici, le signataire, même disparaissant, est là en permanence. L’écriture y est dense, à la fois elliptique et précise. Et l’exigence devient contagieuse : le lecteur n’est pas invité à exercer une vaine liberté, mais à créer un objet littéraire à l’intérieur d’une particulière polyphonie.

Il est d’abord saisi par une totalité formelle quasiment abstraite, à laquelle il ne pourra donner d’unité profonde qu’au cours des décryptages et chemins creusés par lui seul. Si du flou se dégage, émergera de ce flou même une unicité de ton de chaque page, et l’unité d’un livre, d’une écriture, où la profusion apparente devient constituée d’atomes, ces micro-éléments essentiels, comme si l’exigüité des particules premières était nécessaire à la richesse d’un monde. Rien de plus étrange que ces textes, puisqu’ils apparaissent dans une sorte de complexité, et qu’il n’y a rien de plus nu lorsque le lecteur les a composés.

L’image des atomes fait penser à une quasi-découverte: celle de l’existence de “particules d’espace-temps”, sortes d’unités de base de l’univers, dont la continuelle prolifération expliquerait l’éloignement des galaxies. L’espace de la page et celui du livre, chez Vogels, ne fonctionnerait-il pas, à certains égards, de la même manière ? On pourrait estimer que l’ouvrage lui-même, avec le précieux travail de l’éditeur, donne un cadre à ce qui est appelé à le déborder.

Mais le débordement se fait d’une autre manière. Derrière l’iconostase orthodoxe se produit l’office ; les fidèles en reprendront parfois le chant. Quel chant nous est offert dans le travail de Christian Vogels ? L’office est une manière d’entrer en contact avec l’au-delà vers lequel les officiants entraîneront le peuple qui se recueille ; icônes et iconostases guident les croyants sur cette même voie. Quel espace autre que mystique (mais tout de même…) est chez Vogels en attente du lecteur ? La clé de cette question se trouve-t-elle dans l’écrin des poèmes ? Une clé qui ouvre et ne peut accepter le verrouillage de la réponse.

Iconostases, de Christian Vogels, Éditions Jacques Brémond, 108 pp., 25€.